Keir Starmer : le travailliste qui ne promet pas la lune
Après treize ans de gouvernement conservateur inefficace, sept ans d’un Brexit désastreux et trois premiers ministres conservateurs démagogues mais inefficaces, le leader du Labour, terne orateur et centriste assumé, affiche une prudence qui rassure
« Denis, tu parles allemand. Peux-tu, s’il te plaît, apprendre un peu d’allemand à ton leader travailliste, Sir Keir Starmer ? » J’étais à Bruxelles et c’était la demande la plus étrange que j’aie jamais reçue au cours de mes années de travail au sein de la gauche démocratique européenne. Pourtant, cette responsable allemande, collaboratrice principale du groupe des députés CDU au Parlement européen, était parfaitement sérieuse.
Le président Macron a rencontré sir Keir Starmer à l’Élysée, la veille de la visite du roi Charles. Depuis plus d’un an, le Parti travailliste est en avance de vingt points sur les conservateurs.
«Pour nous, » disait-elle, » il représente l’idée que la CDU se fait d’un politicien parfait. Il est plutôt ennuyeux. Il lit un discours soigneusement préparé, mot par mot, sans plaisanterie, ni rhétorique, ni démagogie. Il ne dit rien d’extravagant ou d’extrême. Si tu pouvais le faire parler allemand, il ferait une très forte impression chez nous. »
Le président Macron a rencontré sir Keir Starmer à l’Élysée il y a peu de temps, la veille de la visite du roi Charles. M. Macron pense manifestement qu’il travaillera avec le Premier ministre Starmer l’année prochaine. En effet, depuis plus d’un an, le Parti travailliste jouit d’une avance constante de vingt points sur les conservateurs au pouvoir.
« Même les plus ardents partisans du Brexit doivent maintenant reconnaître le désastre qu’il a provoqué »
Daily Telegraph, une sorte de Figaro britannique, agressivement anti-européen
L’Angleterre a connu près de treize ans de gouvernement conservateur inefficace et sept ans de Brexit. Le Daily Telegraph, une sorte de Figaro britannique, agressivement anti-européen depuis que Boris Johnson y a écrit des éditoriaux il y a trente ans, vient de tirer la leçon de cette expérience : « Même les plus ardents partisans du Brexit doivent maintenant reconnaître le désastre qu’il a provoqué ».
La plupart des commentateurs prédisent aux travaillistes une grande victoire en 2024. Pourtant, Sir Keir Starmer reste prudent. Il n’est entré en politique que depuis huit ans. Il aura 62 ans l’année prochaine, soit un peu moins que François Mitterrand lorsqu’il est devenu président. Mais contrairement à Mitterrand, ou à Chirac, il n’a pas derrière lui de longues années en politique, de victoires et de défaites électorales, de batailles internes ou de décisions sur les nouvelles alliances.
C’est un avocat qui a travaillé pour des ONG dans les pays du Commonwealth, défendant principalement des hommes accusés de crimes sur la base de fausses preuves ou encore de relations homosexuelles, qui ne sont plus des crimes en Grande-Bretagne ou en Europe. Il faisait partie des avocats travaillistes proches de Gordon Brown, Premier ministre de 2007 à 2010, qui l’a nommé procureur général d’Angleterre, avec le titre honorifique de Sir Keir.
Starmer ne promet rien : cette retenue peut lui ouvrir les portes du pouvoir. Ensuite, les vraies décisions devront être prises.
S’il a toujours eu la carte du parti travailliste, il s’est tenu à l’écart de la politique locale. Il ne s’est présenté au Parlement qu’en 2015, dans la circonscription où il vivait, au nord de Londres, un quartier progressiste et à la mode, un peu l’équivalent de la rive gauche à Paris. Jeremy Corbyn, issu du même milieu travailliste du nord de Londres, l’a promu instantanément.
Starmer a été un fidèle collaborateur de Corbyn. Il a rejoint la campagne visant à organiser un second référendum sur le Brexit, une idée rejetée lors des élections de 2017 et 2019. Ce fut la première rencontre de Starmer avec les électeurs. Il a vite compris que le gauchisme de Corbyn, s’il plaisait aux militants, faisait fuir les électeurs.
Du coup, Starmer a décidé de ramener le Labour vers son électorat. Il a écarté les députés de la gauche du Parti et expulsé Jeremy Corbyn. Sa politique consiste à ne pas créer de nouveaux impôts, à ne pas augmenter les services publics et à ne pas s’identifier à la gauche. Si les travaillistes gagnent, il ne sera pas question de rejoindre l’Union européenne, son marché unique, son union douanière ni de rouvrir les frontières à la libre circulation des citoyens.
Depuis une décennie, la Grande-Bretagne a mis au pouvoir une série de Premiers ministres tonitruants et démagogues – Boris Johnson, Liz Truss, Rishi Sunak – qui promettaient ce qu’ils ne pouvaient pas tenir. Starmer ne promet rien : c’est cette retenue qui peut lui ouvrir les portes du pouvoir. Ensuite, les vraies décisions devront être prises.