Kemal Kiliçdaroglu, le Gandhi turc

par Valérie Lecasble |  publié le 14/05/2023

Surnommé le Gandhi de la Turquie, l’anti-Erdogan, incarne la force tranquille quand Erdogan n’exhale que l’autoritarisme. Rassembleur et pacifiste, il tend la main aux femmes non voilées, aux Kurdes et milite en faveur d’un pays divers

Kemal Kilicdaroglu ®n campagne - Photo Ercin Erturk / ANADOLU AGENCY

Avec sa force tranquille et sa proximité avec le peuple, il incarne en Turquie le retour de la démocratie et d’une République social-démocrate, nationaliste et laïque fondée il y a cent ans par Atatürk.

A chacun de ses meetings, il forme un cœur avec ses doigts. Sa façon à lui de montrer à ceux qui sont là qu’il les aime. Il promet qu’avec lui : « aucun enfant n’ira au lit affamé dans ce pays, aucune famille pauvre ne verra son électricité, son eau et son gaz coupés. Nous vivrons en paix ensemble. Je serai le président de 85 millions de personnes, je le promets, et sans aucune discrimination. »

C’est ainsi que Kemal Kiliçdarolglu, 74 ans, centre-gauche, quasi-inconnu du grand public, a réussi à devenir le chef d’une alliance des six partis d’opposition (centristes, libéraux, ultra-conservateurs et nationalistes) pour aller défier ensemble l’indéboulonnable Erdogan, président depuis vingt ans mais fragilisé par les 45 000 morts du tremblement de terre, une inflation galopante à 85%, sur fond d’accusation de corruption et de dérives autoritaires.

« Pomme de terre, oignon, au revoir Erdogan », le slogan de sa campagne électorale traduit la simplicité d’un « candidat normal », un ancien fonctionnaire, qui a souhaité se montrer proche du peuple dans une vidéo virale tournée dans sa cuisine avec sa cafetière et un oignon à la main, celui que les Turcs n’ont aujourd’hui plus les moyens de s’acheter.

Kemal Kiliçdarolgu, c’est l’anti-Erdogan. Il est rassembleur, pacifiste, modeste quand Erdogan est agité, nerveux, élitiste. Il incarne la force tranquille quand Erdogan n’exhale que de la fébrilité.

Son surnom de Gandhi remonte à juin 2017, alors qu’il dirigeait le CHP depuis 2010. Fondé par Atatürk, le père de la Turquie moderne, le Parti républicain du peuple, social-démocrate et laïque, membre de l’internationale socialiste, était alors la deuxième formation politique au parlement.

L’un de ses membres est injustement condamné à 25 ans de prison pour avoir fourni à la presse d’opposition des informations confidentielles. En signe de protestation, Kemal Kiliçdarolgu entame une marche pacifiste de 450 km pour la Justice d’Istanbul à Ankara, où est emprisonné son ami, rejoint en chemin par des milliers de personnes, syndicalistes, membres d’organisations professionnelles, sympathisants pro-kurdes.

Six années plus tard, Kemal Kiliçdarolgu a haussé le ton : « Je sais où ils ont mis l’argent, je saurai le retrouver », menace-t-il dans sa lutte incessante contre la corruption.

Il revendique aussi son appartenance à la minorité alévie, un courant religieux humaniste minoritaire en Turquie où la majorité de la population est sunnite et plus proche des Frères musulmans. À ce titre, il tend la main aux femmes non voilées, aux Kurdes et milite lors de son dernier meeting le 6 mai en faveur d’un pays divers.

« Ils ont beaucoup polarisé le pays, ils ont remis en question l’identité de nos citoyens, de nos proches et de nos voisins. Ils ont amené les gens à remettre en question leurs croyances. Je le redis, nous ne ferons aucune discrimination. J’apporterai le printemps et paix dans ce pays. Nous allons retrouver la lumière ».

Dimanche, après avoir voté à Ankara, il a lancé : « il nous a manqué d’être tous ensemble, de nous embrasser. Vous verrez : si Dieu le veut, le printemps va revenir dans ce pays et il durera pour toujours ».

Un message subliminal à son ancêtre Atatürk qui, en 1923, leader des progressistes laïcs au parlement, avait fait tomber les conservateurs favorables à la charia et au maintien du califat.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique