Kharkiv : hypothèses pour un assaut

par Emmanuel Tugny |  publié le 17/05/2024

La région de Kharkiv, située à peine à 32 kilomètres de la frontière russe, subit une violente poussée de l’armée de Moscou. En attendant la grande offensive ?

Combats intenses dans la ville de Vovchansk déchirée par la guerre alors que les attaques militaires russes avancent sur le nord de la région de Kharkiv, le 16 mai 2024 - Photo Narciso Contreras /ANADOLU

Cette poussée, qui engage environ 50000 hommes côté russe, vise-t-elle à mesurer la capacité de l’armée de Syrsky à tenir le secteur dont elle chassa l’agresseur à l’automne 2022 ? Est-elle un test de la capacité russe à s’enfoncer dans le long champ ukrainien ?

Constitue-t-elle une authentique offensive préfaçant une invasion du pays profond destinée à « tenir » l’Ukraine ou à gagner des territoires négociables contre Donbass et Crimée le jour venu ? Veut-elle créer une « zone tampon » protégeant la frontière ouest du territoire russe, notamment Belgorod, régulièrement frappée par Kiev et dont le gouverneur Gladkov assure que la Russie y avait déjà détruit 16 drones et 21 missiles ukrainiens avant que l’Ukraine ne réplique dès dimanche dernier à l’assaut ? Est-elle une parade surexposant, au lendemain du 9 mai, jour de la victoire sur le nazisme, la puissance de frappe de Moscou ?

Les localités de l’oblast, qui compte 2,6 millions d’habitants, Kharkiv, mais aussi entre autres Koupiansk, Vovtschansk, ont déjà vu quelque 4000 personnes prendre la route de l’exil pour fuir les combats, selon son gouverneur Oleg Synegubov. On compte en outre des victimes civiles dont le nombre ne cesse d’augmenter.

Face à ce mouvement attendu par les administrations ukrainienne et américaine, Washington, par la voix du patron de la CIA William Burns, et le think tank américain « Institute for the study of war », minimisent : l’offensive majeure de la Russie est pour l’été. Les USA ont néanmoins opté pour le déblocage en urgence d’une aide de 400 millions de dollars qui veut pallier l’insoutenable lenteur de l’acheminement des produits de celle de 61 milliards récemment votée par le Congrès.

Tous les experts s’étonnent que la laisse de front n’ait pas encore été enfoncée par des forces russes supérieures en nombre, constamment revitalisées par la mobilisation contrainte et réapprovisionnées en armes et en munitions par une économie qui a vu croître de 70 % ses dépenses militaires en 2024 et y consacre désormais près de 6 % de son PIB. Outre Washington, Ottawa a alloué en urgence à l’Ukraine un budget de 50 millions d’euros pour l’achat de systèmes de défense antiaérienne.

L’Allemagne, par les voix de sa ministre des affaires étrangères Annalena Baerbock et de son ministre de la défense Boris Pistorious, a insisté sur la gravité de la situation et sur la nécessité de doter l’Ukraine des moyens susceptibles d’endiguer l’offensive russe sur Kharkiv. James Cameron a fait chorus à l’inquiétude allemande.

Quant à Emmanuel Macron, dont on se demande bien pourquoi son ambassadeur en Russie, Pierre Lévy, a été missionné pour assister à l’investiture d’un Poutine manifestement affairé à purger son entourage, il a enfoncé le clou : l’Europe est certes impréparée, elle doit renforcer sa coordination, mais, à l’image de la France, elle doit se tenir prête à toutes les éventualités.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie