La caméra politique d’Arthur Penn

par Thierry Gandillot |  publié le 24/02/2024

Antoine Sire, critique de cinéma, analyse l’œuvre d’Arthur Penn (photo)  dont la Cinémathèque propose une rétrospective. Entretien

Arthur Penn Réalisateur américain. Collection Christophel © Etienne George

Intellectuel new-yorkais, d’ascendance juive russe, Arthur Penn est certainement l’un des réalisateurs majeurs des années 1960-1970. L’un des plus politiques aussi. C’est un admirateur de John Fitzgerald Kennedy en qui il place beaucoup d’espoirs – peut-être trop. Brillant, exigeant, Penn est parfois en bisbille avec les producteurs de ses films. Ce qui ne l’empêchera de signer des œuvres essentielles qui rendent compte, mieux qu’aucune autre, de la montée de la contre-culture en Amérique : « Miracle en Alabama » (62), « Mickey One » (65), « Bonnie and Clyde » (67), « Alice’s Restaurant » (69), « Little Big Man » (70), « Missouri Breaks » (76) ou encore « Georgia » (81).

Antoine Sire, critique de cinéma et auteur de «  Hollywood, la cité des femmes », publié par l’Institut Lumière et Actes-Sud, nous retrace la trajectoire fascinante de celui qui fut un « contemporain capital ».

Le Journal.info Dimanche : Les films d’Arthur Penn sont le véritable sismographe des bouleversements de la société américaine des années 60-70…

Antoine Sire : « Penn passe d’une époque où il se fait le chantre de la contre-culture pour s’apercevoir des années plus tard que le mouvement était surtout porteur d’illusions. Dès “Miracle en Alabama”, il dénonce l’univers patriarcal et raciste de cette société sclérosée du Sud. Né en 1922, il a grandi dans la pauvreté pendant les années de la Grande Dépression. Pilier de l’Actors Studio, il se retrouve au cœur de la contre-culture new-yorkaise et développe sa conscience politique rebelle. Il a l’espoir que la contre-culture rendra l’Amérique meilleure, que Kennedy est l’homme de la situation…

Il va finir par déchanter…

Oui, il ne deviendra pas conservateur pour autant, mais il perd de son enthousiasme. Il réalise que les forces du Bien subissent la loi des forces du Mal. “Mickey One”, inspiré par la Nouvelle vague, est un tournant dans son œuvre. En suivant un comique traqué par la mafia, Penn montre une Amérique kafkaïenne, limite paranoïaque. Dans “Bonnie & Clyde”, il dit sa fascination pour les gens hors des clous, deux tueurs “esthètes” sans projet politique. Avec “Alice’s Restaurant”, film tiré d’une chanson d’Arlo Guthrie, il peint de manière caustique tous ces hippies qui revendiquent la sagesse, mais ne sont que de grands enfants immatures.

Avec “Little Big Man”, il dénonce le massacre des Indiens…

Et le saccage, à ses yeux, d’une civilisation saine par une civilisation malsaine. C’est surtout une allégorie de la guerre du Vietnam. Dans “La poursuite impitoyable”, tout le monde est corrompu, sauf le shérif.

Dans “Georgia”, on suit un jeune immigré yougoslave et une bande de copains des quartiers populaires de Chicago – trois garçons amoureux d’une fille. Pleins d’enthousiasme et de confiance, ils vont traverser l’ère Kennedy dans l’euphorie d’un certain rêve américain.

 “Georgia”, c’est le film de mes vingt ans, je n’avais jamais vu un film qui dit autant de choses à la fois sur la jeunesse, le destin, la difficulté de faire des choix en amour comme de prendre de bonnes décisions dans sa vie personnelle.

En 1971, dans la revue Positif, Arthur Penn avait donné le fond de sa pensée : «  Ce qui se passe actuellement aux États-Unis est intéressant. La nouvelle génération refuse totalement les valeurs de celle qu’il l’a précédée. Ce refus est très justifié et très compréhensible. La question qui se pose alors est celle-ci : « Quel genre de valeurs voulons-nous et comment allons-nous faire pour y vivre ? »

Propos recueillis par Thierry Gandillot

Cycle Arthur Penn à la Cinémathèque jusqu’au mercredi 28 février

– Samedi. 17h45, Little Big Man. 21H, Missouri Breaks.

– Dimanche. 17 heures, « Bonnie & Clyde » ; 19h30, « Alice’s Restaurant »

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture