La chute d’une émule de Zemmour

par Laurent Joffrin |  publié le 13/11/2023

Le Premier ministre britannique vient de congédier Suella Braverman, sa tonitruante ministre de l’Intérieur : nouvel échec pour le populisme britannique.

Laurent Joffrin

Elle était une sorte de Zemmour au féminin : elle vient de mordre la poussière. Suella Braverman, ministre de l’Intérieur dans le gouvernement britannique, ne cessait d’alimenter la polémique publique par des propos incendiaires, dirigés la plupart du temps contre les migrants.

Elle avait parlé « d’ouragan » à propos de l’immigration en Grande-Bretagne, elle avait affirmé que les SDF dormant dans les rues de Londres en avaient fait « un mode de vie », elle avait qualifié de « marches de la haine » les défilés londoniens demandant un cessez-le-feu à Gaza, elle avait accusé sa propre police d’être plus dure avec les manifestants de droite qu’avec ceux de la gauche, déclenchant une levée de boucliers parmi les forces de l’ordre, elle soutenait avec obstination un projet de loi prévoyant de faire examiner au Rwanda les demandes d’asile pour l’entrée au Royaume-Uni.

Mais à force de tirer sur la corde, elle a fini par la rompre : le Premier ministre Rishi Sunak, qui avait nommé Suella Braverman pour se concilier l’aile la plus dure du Parti conservateur, vient de la débarquer sans cérémonie de son gouvernement. Elle sera remplacée par un ministre nettement plus consensuel, James Cleverly, jusque-là ministre des Affaires Étrangères, poste auquel lui succède un revenant de la politique, David Cameron, l’ancien Premier ministre qui avait organisé le référendum sur le Brexit.

Signal intéressant : Rishi Sunak n’a rien d’un progressiste et il professe sur le fond des idées assez proches de celles de Suella Braverman. Mais Sunak est nettement plus prudent dans son action et son expression, répugnant au style populiste de son encombrante ministre. Ainsi la montée en puissance de celles et ceux qui « disent tout haut ce que les électeurs les plus extrêmes pensent tout bas », qui se sont affranchis de tout « politiquement correct », qui voient dans « le bruit et la fureur » l’alpha et l’oméga du débat public, reçoit en Grande-Bretagne, après l’éviction brutale de Boris Johnson du 10 Downing Street, un deuxième coup d’arrêt.

Inflexion d’autant plus nette que Sunak fait en même temps appel à David Cameron conservateur ouvert, qui avait décidé d’un référendum sur le Brexit parce qu’il pensait que les Britanniques, comme lui-même, ne souhaitaient pas sortir de l’Union européenne. En limogeant Braverman et en intégrant ce « remainer » dans son équipe, Sunak estime qu’il sera en meilleure position pour combler le retard abyssal qu’il accuse dans les sondages sur le Parti travailliste du très centriste Keir Starmer.

Après des années de folie post-Brexit, la politique britannique revient peu à peu à une rationalité minimale. Dans l’ambiance agressive, sommaire et démagogique qui domine la vie politique de tant de démocraties, voilà au moins une bonne nouvelle.   

Laurent Joffrin