La couleur de la tapisserie

par Jean-Paul Mari |  publié le 28/06/2024

Depuis  trop longtemps, la famille de la gauche se déchire sur des questions de sérail… en oubliant l’essentiel : la France d’en bas.

Ce soir-là, toute la famille est réunie dans le salon du grand appartement pour prendre une décision importante : déterminer la couleur de la nouvelle tapisserie vu que l’ancienne ressemble aux feuilles mortes d’un platane un jour de Toussaint.

« Bleue » propose le père, militant du PS, « c’est simple et lumineux ». Un cri indigné l’arrête, celui de l’aînée de la maison, étudiante en philo : « Pas question ! Le bleu, c’est genré. Machiste ! » Soit.« Alors, rose ? » transige la mère, psychologue aux affaires familiales. Nouveau cri de la fille: « Rose ! Et girly ? Et des rideaux avec des tresses peut-être ? »

Le débat est lancé. On invoque les mascottes des JO. , les « Phryges », résolument asexuées et le drapeau LGBT qui ornera fièrement les documents officiels. Le père soupire, embarrassé : « Et si on mélangeait les couleurs ? » – « Trop de bleu, c’est violet, trop de rose, ce sera mauve » précise le fils, informaticien, écolo froid et technique. «  Ah ! les gouts et les couleurs… » soupire la mère. « Quand je vois que des imbéciles ont jeté de la soupe sur « Les Tournesols » de Van Gogh » – Définitif, le fils proclame: « L’art ne vaut rien sur une planète morte ».

De l’extérieur parviennent les bruits de la rue, des cris, des slogans, une manifestation. Gilets jaunes ? Ou agriculteurs ? On ne sait pas. Ils en font du bruit ! Après tout, tous ces problèmes de pouvoir d’achat, d’inflation, de transports… est-ce bien le moment au regard du débat familial en cours?

« Tout de même, le rose, c’est convivial, non ? » tente la mère. « Maman, ne remets pas ça, tu veux ? », coupe la jeune insoumise qui a applaudi l’adoption par la mairie de Lyon de l’écriture inclusive pour ses documents officiels « au nom de la lutte contre le sexisme ans la langue ». Sarcastique, le père ânonne: « Des français.e.s divisé.e.s plus que réuni.e.e.s… ».

Le fils l’arrête de la main : « la radicalité est le seul choix possible ». Lui soutient « l’interdiction de la viande dans les cantines comme le propose le Parti Animaliste » –  « Oui, soyons Vegan ! » jubile la fille. — « Et déboulonnons la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale ! — « Pourquoi Colbert ? » s’insurge la mère. – « À terre, Colbert l’esclavagiste ! », tonne le fils.

Le ton est monté d’un cran. D’autant que, de l’autre côté de la fenêtre, au bruit des manifestants s’ajoutent les sirènes de police et les explosions des grenades lacrymogènes. « Vont finir par tout casser », grimace le père.

Alors, bleu ou rose ? « De toute façon, pas noir « , essaie de sourire la mère, « comme ces abayas qu’on a eu bien raison d’interdire à l’école », La fille s’énerve : « Maman…elles ont le droit de revendiquer leur identité, non ? » — « Nous, les féministes d’antan, on dénonçait le tchador comme une prison pour les femmes ! »

Le père propose d’en rediscuter autour d’un barbecue dans la maison de campagne… «Un “barbecue” ?  » bondit la fille  » Cet hyper-symbole de la virilité et du patriarcat comme l’a si bien dit Sandrine. Non, mais… » — « Des tonnes de charbon en fumée. Un crime contre le climat… à interdire au plus vite ! », tranche le fils. Bon, il se fait tard. Et la famille est fatiguée d’un débat, certes prioritaire, mais éprouvant. On reprendra cela demain.

Au petit matin, quelqu’un a cogné fermement à la porte. C’était Jordan, le voisin si poli du dessous, avec son beau costume bleu marine. Il venait d’autorité prendre possession de tout l’appartement.

Jean-Paul Mari