La dernière cartouche
Chaque dimanche, un regard engagé sur une semaine d’actualité. Que retenir dans le flot d’informations qui inonde les médias, entre écume des jours et vague de fond ? L’essentiel
Lundi – Delors le traître ?
Émotion et hommages à l’annonce de la mort de Jacques Delors, social-démocrate assumé et grand de l’Europe. Sauf dans les rangs sectaires du souverainisme et de la gauche radicale, bien sûr. On lui reproche le « tournant de la rigueur » de 1983, quand la gauche confrontée aux déficits et à la dévaluation décida de maîtriser ses dépenses tout en restant dans le « serpent monétaire européen ». Ce qu’oublient toujours de dire ces habituels procureurs de la lucidité économique, c’est que « l’autre politique » selon les termes de l’époque, c’est-à-dire le flottement du franc, aurait exigé une rigueur budgétaire au moins égale sinon pire, sauf à dévaluer sans cesse la monnaie, à relancer l’inflation et à mettre la France dans la main des marchés. Amnésie volontaire des doctrinaires, toujours prompts à dénoncer les concessions des réformistes, mais incapables de définir une politique alternative crédible.
Mardi – Ukraine : la dernière cartouche
On ne l’écrira jamais assez : l’émotion suscitée par la guerre de Gaza est parfaitement légitime, mais pour l’Europe, la vraie bataille se déroule en Ukraine. Les troupes de Zelenski se battent toujours avec autant de courage, mais elles manquent de munitions, ce qui permet à Poutine d’intensifier ses attaques tandis que les démocraties regardent ailleurs. Une fois à court d’obus et de cartouches, l’armée ukrainienne sera perdue, Poutine dictera sa loi, avant de s’attaquer à d’autres cibles. La liberté est en danger, celle des Ukrainiens aujourd’hui, la nôtre demain. Mesurer notre appui à nos alliés, c’est nous condamner à des efforts bien plus exigeants s’ils sont battus. La paix ne viendra pas d’un lâche renoncement, mais de la victoire sur l’agression russe.
Mercredi – Depardieu, de l’indignation à la censure
Déluge de pétitions dans l’affaire Depardieu. On a mille fois raison de dénoncer les comportements sexistes. Mais on aurait grand tort d’étendre l’indignation devant les agissements du comédien au bannissement de ses films, pente dangereuse sur laquelle s’engagent ses adversaires. On devine le raisonnement de ces militants extrêmes du « combat culturel » : s’appuyer sur les errements scandaleux de certains créateurs pour placer sous surveillance la création tout entière, présente passée et future, sommée de se conformer à une doxa édifiante. Quand ces nouveaux censeurs comprendront-ils que nous ne sommes plus à l’époque de Jdanov et de la culture sans la liberté n’est plus la culture ?
Jeudi : Biden attaque
Le vieux se rebiffe. On dit Joe Biden handicapé par son âge, affaibli par l’usure du pouvoir, trop mou dans ses discours. Apparemment, « sleepy Joe », comme disait Trump avant d’être battu en 2020, a plus de ressource qu’on ne croit. Commémorant l’anniversaire du putsch trumpiste sur le Capitole, il a réveillé ses partisans. Trump, dit-il, est prêt à sacrifier la démocratie pour reprendre le pouvoir. « Il parle du sang des Américains qui est empoisonné (par l’immigration), utilisant exactement le même langage que celui utilisé dans l’Allemagne nazie, ajoute-t-il. Dans cette élection présidentielle – qui commence la semaine prochaine dans l’Iowa – les Américains auront le choix entre un homme « obsédé par le passé et ses propres intérêts » et un autre tourné vers l’avenir : « la question la plus urgente de notre époque est de savoir si la démocratie est toujours la cause sacrée de l’Amérique ». En effet…
Vendredi – Mélenchon antisémite ?
Enquête impressionnante du Monde sur « l’ambiguïté » de Mélenchon en matière d’antisémitisme. La longue liste des formules troublantes employées par le leader de la France insoumise à l’égard des Juifs ne laisse pas d’interroger. Pour l’avoir suivi depuis longtemps, je me raccroche à l’explication suivante : l’homme n’a rien contre les Juifs en général, sa formation trotskiste et franc-maçonne l’en dissuade. Mais il a décidé depuis une quinzaine d’années d’appliquer les thèses de Chantal Mouffe sur l’affrontement nécessaire de deux camps en démocratie, les partisans des élites d’un côté, « le peuple » de l’autre. Les Juifs étant à ses yeux intégrés parmi « les dominants », dans la société « blanche », il est tactiquement pertinent de les ranger dans le camp de l’élite. D’autant qu’une partie des musulmans, par nature « dominés », obéissent à des préjugés antisémites. Il est donc électoralement payant, non d’agiter les mêmes préjugés – ce serait trop grossier – mais, en tout cas, de les légitimer discrètement, par la bande. Voilà mon hypothèse…
Samedi – La comédie du remaniement
Emmanuel Macron, quand il veut changer de gouvernement (ou pas), aime prendre son temps. Du coup se développe le vain exercice de devinette qui précède toujours la décision. Or, en matière de remaniements, ceux qui savent ne parlent pas et qui ceux parlent ne savent pas. Les seconds étant plus nombreux que les premiers, on parle beaucoup… pour ne rien dire. D’autant qu’en l’occurrence, la plupart des ministres étant de parfaits inconnus pour l’opinion, leur remplacement par d’autres inconnus est d’un intérêt limité.