La diagonale Macron-Bardella

par Laurent Joffrin |  publié le 19/12/2023

Pour éviter le procès en impuissance, le président de la République a renié le macronisme pour adouber les idées du Rassemblement national.

Laurent Joffrin

Voilà qui a le mérite d’être clair. Contraint d’arbitrer entre sa droite et sa gauche, Emmanuel Macron a choisi. Selon toute probabilité, le projet immigration qui sortira finalement de la Commission mixte paritaire Sénat-Assemblée sera en même de temps de droite… et de droite. Voire d’extrême-droite. C’est le sens du texte proposé à sa propre majorité par Élisabeth Borne, qui rallie sur un point essentiel, la « préférence nationale », les idées du Rassemblement national.

La macronie avait cru concilier les inconciliables en prévoyant d’un côté une prudente régularisation des sans-papiers et de l’autre un resserrement des conditions d’entrée et de séjour. La première mesure est réduite comme peau de chagrin, les autres accentuées avec énergie. On ne connaît pas encore le détail des mesures. Mais il semble bien que la droite sénatoriale ait imposé au forceps une partie de ses demandes, telles que la remise en cause du droit du sol, l’introduction de la « préférence nationale » dans le versement des prestations sociales, le dépôt d’une caution pour les étudiants étrangers et le retour du délit de séjour irrégulier, etc.

Autrement dit, la philosophie générale du projet a changé radicalement. Il ne s’agit plus d’améliorer l’accueil des étrangers tout en distinguant mieux, à l’entrée, les immigrés éligibles au séjour et ceux qui ne remplissent pas les critères d’admission, mais de considérer l’immigration comme un mal en soi, qu’il convient de combattre par toutes sortes de moyens. La remise en cause du droit du sol rompt avec la tradition républicaine, la réduction des prestations sociales est discriminatoire, la restauration du délit de « séjour irrégulier » est inutilement vexatoire, etc. Comme le dit Jordan Bardella, la victoire idéologique de son parti « est de plus en plus forte ». Ainsi la fable d’un dépassement du clivage droite-gauche, base politique du macronisme, est spectaculairement controuvée. Le macronisme, cet opportunisme maquillé en modernisme, officialise son tournant droitier.

Il faut désormais en tirer les conséquences. Si le projet est voté à l’Assemblée, la « gauche macronienne » aura révélé sa vraie nature : une inutile réserve de supplétifs sans influence, cinquième roue d’un carrosse voué à suivre l’éternel et poussiéreux chemin du conservatisme. À quoi sert, dans ces conditions, de rester accroché au char de l’Élysée ? Dans cette affaire, qui marque une étape essentielle dans le quinquennat, se dessine à terme la recomposition que nous appelons de nos vœux : le retour au bercail des électeurs qui avaient abandonné la gauche au nom du « en même temps ». Ce qui passe par la reconstitution d’une gauche républicaine de l’audace et du réalisme, qui rééquilibre l’attelage progressiste en accueillant l’électorat macronien enfin dessillé et pose clairement sa candidature à la direction des affaires publiques.

Laurent Joffrin