La diffamation de Mélenchon

par Laurent Joffrin |  publié le 02/07/2023

Sans hésiter devant l’outrance, le chef de la France insoumise rend Bernard Cazeneuve responsable de la mort du jeune Nahel. Une nouvelle imputation fausse et injurieuse

Laurent Joffrin

Il faut que Jean-Luc Mélenchon soit diablement inquiet du retour de Bernard Cazeneuve sur la scène nationale pour avoir lancé contre lui une attaque aussi basse. L’ancien Premier ministre de François Hollande, a-t-il dit, est « personnellement et moralement responsable » de la mort de Nahel. Pourquoi ?

Parce que son gouvernement a fait voter en 2017 une loi qui étend au profit de la police les cas de légitime défense justifiant l’usage d’une arme à feu. L’accusation appelle quelques précisions.

Décidée après le meurtre d’un couple de policiers à Magnanville et l’attentat de Nice du 14 juillet 2016, qui a fait 86 morts, la réforme de 2017 n’avait évidemment pas pour but de donner à la police un « permis de tuer », selon la formule employée par Jean-Luc Mélenchon.

Elle précisait seulement les conditions dans lesquelles la légitime défense s’appliquait, notamment quand un meurtrier usait de son véhicule pour percuter des passants, comme l’avait fait celui de la promenade des Anglais.

Or si les premières constatations sur la mort du jeune Nahel sont confirmées par la justice, il apparaîtra que le policier a violé de manière nette la règle établie sur l’autorité de Bernard Cazeneuve. L’article 435-1 du code la Sécurité publique, incriminé par le leader de la France insoumise est en effet rédigé de la manière suivante : « Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser, autrement que par l’usage des armes, des véhicules dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

Au moment du tir, le redémarrage de la voiture de Nahel ne menaçait ni les policiers, ni personne d’autre. La loi souligne de surcroît, dans son premier paragraphe, que les policiers ne peuvent tirer « qu’en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée ». C’est pourquoi Elisabeth Borne a déclaré au Parlement que dans le cas du jeune Nahel, les règles n’avaient pas été respectées.

Nul « permis de tuer » dans ce texte, donc : parler d’une responsabilité « personnelle et morale » de Bernard Cazeneuve, c’est le diffamer gravement, de manière totalement injuste.

Certains mettent en cause le texte de manière plus oblique, et Mélenchon s’appuie sur leurs dires. Depuis 2017, disent-ils, le nombre de tirs policiers consécutifs à un refus d’obtempérer a nettement augmenté. La remarque est exacte : il est passé d’un peu plus de cent à environ cent quarante par an.

Mais ce qu’on oublie de préciser, c’est que le nombre des refus d’obtempérer (27 000 en 2022), a lui aussi augmenté dans des proportions sensibles. Ce qui fait que la fréquence réelle des tirs en regard des infractions constatées n’est pas très différente. Même si on peut la juger excessive, ce qui est une autre question.

Toutes choses qui ne dérangent en rien Mélenchon : selon sa doctrine « agonistique », qui prêche le conflit systématique sur la scène publique, la vérité n’a pas grande importance. Ce qui compte, c’est d’abattre ses adversaires politiques, quel qu’en soit le moyen.

Laurent Joffrin