La double vie d’Emmanuel Macron
Chef de l’Etat dédié aux commémorations pour le grand public, il reste un président très politique derrière les murs de l’Élysée.
Vendredi 29 novembre, les téléspectateurs de France 2 auront droit à un spectacle inédit : la retransmission, pendant trois heures, des déambulations d’Emmanuel Macron dans le chantier achevé de Notre Dame et son discours aux nombreux artisans de cet exploit. Plus personne ne pourra ignorer son investissement personnel dans la reconstruction du joyau français, qui sera officiellement rouvert au public le 7 décembre, devant un parterre de chefs d’Etat et de gouvernement venus du monde entier.
Emmanuel Macron a ainsi eu le dernier mot dans le bras de fer qui l’opposait à l’archevêque Laurent Ulrich, ce dernier refusant que le Président ne s’exprime dans la cathédrale lors sa réouverture. Il le fera quelques jours plus tôt et devant des millions de Français grâce au petit écran. Le chef de l’Etat aime les symboles, l’Histoire avec un grand H, le spirituel mêlé au temporel. Il s’y love avec plaisir, et un certain succès. Une veine à exploiter par les temps qui courent, plutôt rudes pour le responsable de la dissolution.
Ses décisions de panthéonisation procèdent de la même logique. Rassembler autour de belles images ou de grandes figures à défaut d’y parvenir dans les urnes ou les sondages. Emmanuel Macron vient d’annoncer qu’il avait décidé de faire entrer Marc Bloch dans le temple des « grands hommes à qui la patrie est reconnaissante ». Une initiative qui fait l’unanimité, tant le destin de cet intellectuel remarquable, auteur notamment de « L’étrange défaite », résistant fusillé par les nazis, ne peut que forcer l’admiration. On attend aussi une cérémonie, déjà annoncée, pour Robert Badinter. En vantant ces parcours exemplaires, l’orateur peut espérer des retombées positives sur sa propre image.
Du miel pour un Président résilient mais cabossé : sa cote est au plus bas, la terre entière lui reproche la dissolution, le gouvernement qu’il a pris tout un été pour nommer est à deux doigts de se faire renverser, le chômage remonte… Malgré tout, il ne lâche rien. L’animal politique est toujours là, même blessé à mort. Il reçoit, s’informe, conseille, tentant de conserver un pouvoir d’influence alors que la plupart des manettes lui échappent.
Agacé d’avoir été trompé par Michel Barnier qui s’était engagé à ne pas toucher à la politique de l’offre, totem du double quinquennat, il ne fait rien pour l’aider. L’augmentation des impôts et la baisse des exonérations de charges ne lui plaisent pas du tout. Ce n’est pas un hasard si Antoine Armand, ministre de l’Économie, a donné son interview au Parisien critiquant le Budget au lendemain de son retour du G20. Il y avait côtoyé Emmanuel Macron pendant deux jours…
A de rares exceptions près (dont Armand), le Président est volontiers critique à l’égard de l’équipe gouvernementale, dont la qualité ne l’éblouit pas. Il retrouve en revanche des mérites à Elisabeth Borne, qu’il avait pourtant sèchement congédiée. En la recevant à l’Élysée ce 25 novembre pour lui remettre la médaille de commandeur de la Légion d’honneur, il l’a couverte de louanges. Il a en particulier insisté sur son sens de l’unité, se réjouissant qu’elle n’ait jamais « fait cavalier seul ». Le tout devant un parterre de dignitaires macronistes qui ont compris, et relayé, le message. Les oreilles de Gabriel Attal, entre autres, ont dû teinter.
Emmanuel Macron va pleinement revenir dans le jeu si le gouvernement tombe. Il aurait prédit sa chute lors de la décoration d’Élisabeth Borne, tout en le démentant. Si le départ de l’hôte de Matignon devait se confirmer, celui de l’Élysée devra nommer un nouveau premier ministre. Pas facile. Emmanuel Macron sait que Jean-Luc Mélenchon fera tout pour lui rendre la tâche impossible et tenter de l’acculer à la démission. Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale l’a dit sans ambages : « Le moment où Michel Barnier tombera, il ne restera que deux choix au Président de la République : nommer Lucie Castets ou s’en aller ». Jusqu’à nouvel ordre, Emmanuel Macron ne veut ni l’un ni l’autre. Quand on a réussi à reconstruire Notre-Dame en cinq ans, on n’est pas prêt à s’incliner devant les Insoumis…