La droite contre Le Pen ?

par Yoann Taieb |  publié le 17/09/2024

L’arrivée du parti LR au pouvoir ne fait pas forcément les affaires du RN. La gauche doit se préparer à l’émergence d’un nouveau paysage politique.

Marine Le Pen, membre du Parlement français et chef du RN, arrivant à l'Assemblée nationale après le second tour des élections législatives à Paris le 10 juillet 2024. (Photo par ALAIN JOCARD / AFP)

Il est entendu, selon la doxa médiatique, à gauche notamment, que le RN profite de la situation, que Marine Le Pen tient dans ses mains le sort du gouvernement Barnier et que celui-ci va gouverner sous sa surveillance. Mais il existe une autre hypothèse, moins favorable au RN.

Depuis la nomination de Michel Barnier, Marine le Pen semble être revenue au cœur du jeu et de la vie politique. Elle pèse lourd avec ses 143 députés et peut provoquer la chute du futur gouvernement en votant une motion de censure avec la gauche. Malgré la claque du second tour des législatives et les moqueries de ses opposants, elle tiendrait sa revanche. Et c’est un fait que Xavier Bertrand, David Lisnard et Bernard Cazeneuve ont échoué car elle a incliné son pouce vers le bas. Pourtant, à y regarder de plus près, la situation n’est pas aussi idéale pour elle. Marine le Pen va devoir tenir compte de la nouvelle équation politique et peut craindre un événement improbable : le retour de la droite.

Barnier, c’est un profil de la droite catholique, conservatrice, sobre, qui correspond sur de nombreux points à l’image que cherche à se donner le RN. Après tout, ce gaulliste historique, qui a dérivé lors des primaires LR de 2021, peut réunir des majorités et éviter la censure à force de compromis. Sans doute ne proposera-t-il que des lois consensuelles mais il aura le grand avantage de tenir le manche, de calmer l’Assemblée par un discours d’ouverture pour stabiliser une institution qui en a besoin. Ce n’est plus un macroniste triomphant et imbu de lui-même qui sera en face de Marine le Pen. Changement de décor.

Ne jamais sous-estimer l’adversaire : en construisant patiemment une image rassurante, Barnier peut acquérir une certaine popularité. Les premiers sondages d’opinion montrent que son arrivée est plutôt bien acceptée. Il a, en tout cas, l’expérience des négociations épineuses. Comme délégué de l’Union européenne, il a réussi à manœuvrer les populistes hystériques de l’équipe de Boris Johnson durant les négociations sur le Brexit, sans jamais perdre la confiance des pays de l’UE. Autrement dit, il est plus difficile à censurer qu’on pourrait le croire.

Dans une France qui penche à droite, qui est en quête de fermeté en matière de sécurité, de justice, d’immigration et, surtout, qui attend une rupture significative avec les méthodes macronistes, Marine le Pen sera contrainte de le laisser faire. Si elle pousse le gouvernement à la faute et incite Macron de se tourner vers la gauche, elle devra assumer le blocage et passer, en quelque sorte, pour une « Mélenchon bis », qui déstabilise la vie politique à son profit. Tout l’opposé de sa stratégie depuis plus de dix ans.

D’autant que le parti LR est le miraculé de la dissolution. Depuis 2017, il était entendu qu’il vivait une lente agonie. Les défaites succédaient aux défaites, les députés disparaissaient, les chefs se faisaient la guerre et aucun n’était incontestable. Tout à coup, les gloires d’antan reviennent au pouvoir. Dans le prochain gouvernement, ses leaders auront des postes importants, de la visibilité et des moyens d’agir. Contre toute attente, la droite peut redevenir un parti de gouvernement qui attire et servir de recours aux électeurs que le duo Bardella-Le Pen a déçus.

Au bout du compte, cette résurrection peut restaurer l’ancien affrontement entre droite et gauche, qui obligera Marine le Pen à se poser des questions tant sur ce qu’elle va faire que sur ce que doit proposer son parti. Son programme, lors des législatives, était bancal, mal préparé et inconséquent. Imaginons… Si les Républicains gagnent la guerre de la crédibilité politique ses faiblesses apparaîtront d’autant.

Après avoir joyeusement donné la main au RN depuis 2017, Emmanuel Macron vient donc de donner une chance à la droite classique en pariant sur le fait que Barnier réussisse. Par ricochet LR peut faire naître un candidat à la présidentielle suffisamment solide pour nuire à Marine le Pen. C’est donc un nouveau paysage politique qui peut émerger de la confusion de l’été, où l’adversaire traditionnel de la gauche reprendrait soudain vie et énergie. Celle-ci doit commencer à y réfléchir.

Yoann Taieb