La fiscalité est un choix politique

par Bernard Attali |  publié le 25/10/2023

Optimisation ou évasion fiscale…mille milliards d’euros de profit des grandes sociétés partent dans les paradis fiscaux. Indulgence coupable ou volonté politique? 

Longtemps l’optimisation fiscale a été considérée avec indulgence : être malin ce n’est pas être illégal n’est-ce pas ? Longtemps les États ont fait la course au moins-disant fiscal : c’est la mondialisation, non ? Avec pour alibi cette grande idée du « ruissellement » : laissons prospérer les plus fortunés, leur accumulation finira bien par profiter aux autres. Une escroquerie, comme chacun sait. Mais avançons-le : c’est le résultat de choix politiques.

Publié lundi 23 octobre par l’Observatoire européen de la fiscalité, un rapport évalue à près de 1 000 milliards d’euros les profits enregistrés en 2022 dans des pays pratiquant des taux d’imposition ridiculement bas. Plus d’un tiers des bénéfices mondiaux réalisés à l’étranger par ces entreprises sont soustraits au fisc de leur pays d’origine. Pour les États concernés, le manque à gagner représente près de 10 % des recettes fiscales collectées mondialement sur les sociétés.

Le rapport démontre aussi que les très grandes fortunes ne paient quasiment pas d’impôt – 0 % à 0,5 % – sur leur patrimoine. Ce, grâce aux diverses techniques d’optimisation permettant d’éviter que les revenus qu’ils génèrent, comme les dividendes, soient imposables. Tous impôts confondus, ils sont donc moins imposés que les classes moyennes. Taxer 2 % de la richesse des 2 756 milliardaires de la planète (dont 75 en France), dont la fortune totale culmine à 13 000 milliards de dollars, rapporterait 250 milliards d’euros. On imagine combien de telles sommes pourraient aider à résoudre le problème climatique de la planète !

Face à ces enjeux, une réforme fiscale a été approuvée par l’Union européenne en décembre 2022. Désormais, quel que soit le pays dans lequel une multinationale déclare ses bénéfices, ces derniers seront in fine taxés à un taux minimal identique de 15 %. En traitant le sujet au niveau de l’Europe on limite de plus le risque « d’exil ». Cette réforme marque un progrès, certes, mais la recherche d’un large consensus a conduit à appliquer un taux mondial d’imposition faible, assorti d’exonérations qui en limitent la portée. 

Concernant les particuliers fortunés, l’échange automatique d’informations bancaires, instauré en 2017, a permis de réduire l’évasion fiscale offshore. Mais entre-temps, d’autres filouteries ont pris de l’essor, comme l’investissement immobilier dans un pays autre que le sien.

Même les économistes libéraux (cf. le Cercle des économistes) confessent à voix basse que les inégalités excessives sont devenues un obstacle à la croissance économique. Et qu’elles sont un immense danger pour la cohésion sociale. En soutenant que la pression fiscale globale est excessive -ce qui est vrai, en France en tous cas- les dirigeants cachent le fait que sa répartition est d’une injustice qui devient insupportable. Car aucune société ne peut progresser avec un corps social éclaté entre un petit nombre de privilégiés et un grand nombre de laissés pour compte.

La France, en ce domaine, se distingue : notre système fiscal n’est plus progressif. Il y a longtemps qu’il aurait fallu s’y attaquer. Il y a longtemps que personne n’ose : le tout récent rapport du CESE sur les inégalités n’y fait même pas allusion ! Là aussi c’est un choix politique.

Bernard Attali

Editorialiste