La « folie » MMA
Les Français se pressent en masse, dans des arènes en délire, pour célébrer des combats de chiens-humains dans des cages de fer. Et personne ne s’en émeut…
Toute la presse en a parlé avec ferveur. L’AFP, Le Monde, Le Parisien, France Inter, les télévisions. Des commentateurs sportifs enflammés ont raconté la soirée du Mixed Martial Arts — joli nom, c’est de l’Art- à l’Arena Accord à Paris où 16 000 fans en délire, après sept heures de différents combats, attendaient le choc entre Doumbé et Baki. MMA… de quoi s’agit-il ?
Dans la salle, pas de ring, mais une cage en fer, à huit côtés, l’« Octogone » façon gladiateurs ou plutôt combat de chiens. Tout autour, une foule en délire dont le slogan préféré est « Achève-le ! » Sur le ring, dans la cage donc, deux combattants. N’imaginez pas des personnages avec l’allure et la retenue de Marcel Cerdan ou Georges Carpentier, encore moins avec l’élégance de Mohammed Ali ou Sugar Ray Robinson. Non. Les combattants de MMA, hommes ou femmes, souvent crêtes d’iroquois et tatouages jusqu’aux yeux, affectionnent les hurlements, les insultes et les provocations envers l’adversaire, et cherchent des yeux la caméra pour se passer le pouce sur la gorge, en signe d’égorgement. Le noble art.
Les règles ? Ce serait la boxe pour les coups de poing, avec des gants plus petits donc plus dangereux, la boxe américaine pour les coups de pied, le Muay Thaï thaïlandais pour les coups de genoux, la lutte pour les prises au sol, clés et strangulations, mais crachats et coups de tête interdits… bref, un mélange de tous les arts martiaux pendant trois rounds, bien trop longs, de cinq minutes. Un combat de ruelle de quartier.
Le MMA, né au Brésil dans la seconde moitié du XXe siècle, a rapidement conquis le monde entier. Aux États-Unis, le phénomène, forcément commercial, a envahi les écrans et a pris la tête des ventes du « pay-per-view » – pizza, bière, Red Bull et sang sur canapé . L’UFC 257 ( Ultimate Fighting Champion Ship) a généré 120 millions de dollars, et l’UFC 229, en juillet 2021, grande fête de la haine où la foule appelait au lynchage du vaincu, plus de 180 millions de dollars. En France, le MMA a été légalisé en janvier 2020 par… la ministre des Sport, Roxana Marcineanu. Et on prévoit que le MMA c deviendra bientôt le deuxième sport en France. Comme l’a dit la ministre, « il est bien que les jeunes se musclent ».
Que préfère le public ? Ceci. Dans tous les arts martiaux, il y a une règle. Quand un des combattants est sonné et qu’il s’écroule, à demi évanoui sur le tapis, l’arbitre le compte jusqu’à dix. S’il ne se relève pas à temps ou s’il n’est plus en état de combattre, on le déclare K.O. Et le combat s’arrête. Pas au MMA.
Qu’un homme ou une femme tombe, inanimé au sol, et on voit son adversaire se précipiter immédiatement sur lui, se mettre à cheval sur son corps et… frapper des deux mains sur sa tête qui ballotte au gré de la violence des coups de poing. Rien n’est plus dangereux qu’un coup porté sur un homme sans réaction. Jusqu’à ce que l’arbitre constate que l’homme au sol ne réagit plus depuis un moment et se décide à arrêter le massacre.
Un combat ? Oui, de rue. Blessures et hémoglobine garanties. Jusqu’au bout. Le dernier, à Miami, a fait salle comble : « Le combattant a connu une fin violente au 2e round, mis au sol d’un crochet avant d’être achevé d’une droite sous les vivats du public », écrit enthousiaste un reporter sportif. Un combat qui s’est déroulé « sous les yeux de Donald Trump acclamé par la foule lors d’une arrivée scénarisée ». Donald Trump, par ailleurs grand habitué des soirées de l’UFC, comme tous les beaufs américains.
En France, la chose semble désormais admise. Le public exulte, la presse s’enflamme, les télés se frottent les mains et personne ne s’en émeut. Pas un mot de protestation pour ces combats de chiens humains. On ne s’attendait pas à ce que les animalistes, pour qui le dernier des animaux vaut mieux que le premier des humains, protestent bien sûr. Mais pas un mot des organisations de droits de l’homme, ni de grands sportifs respectés, ni de nos politiques, ni de nos intellectuels. Trop impopulaire ou pas assez chic comme débat ? Ou peut-être à l’image d’une société prête à toutes les violences.
Oui, on peut aimer la boxe, apprécier les corridas, ne pas être un anti-chasse forcené et être pourtant profondément révulsé face au spectacle d’un humain, encagé dans du fer, à cheval sur son adversaire inconscient, qui frappe un homme à terre et lui défonce le visage à coups de poing gantés, entouré par une foule de Français qui hurlent : « Achève-le ! »