La France au bord de la crise de nerfs
Ils ont profité du quoi qu’il en coûte, de la baisse des impôts et de l’allègement de certaines charges. Voici que les Français prennent de plein fouet le retournement de la conjoncture, l’incertitude politique et le matraquage budgétaire.
« Je suis prêt à partir demain. J’ai 73 ans aujourd’hui. J’en aurai 76 en 2027. Je n’ai pas besoin qu’on me rappelle mon âge ». En visite à Angers à l’occasion des Assises des Départements, Michel Barnier s’est montré moins flamboyant qu’il y a quelques semaines. On peut le comprendre : en alpiniste habitué à gravir les sommets, le Savoyard voit se dresser devant lui une montagne de difficultés.
Dès lundi, il s’attend à voir dans les champs, sur la route et dans la rue, les manifestants qui vont bloquer, défiler, scander des slogans et monter des barrages. Les agriculteurs, les cheminots, les enseignants, les fonctionnaires, les pilotes d’avion, hôtesses et stewards, les employés des entreprises qui sont déjà licenciés ou bien ceux qui s’apprêtent à l’être : la colère gronde chez nombre de Français.
En tête, parce qu’ils ouvrent le bal et sont les plus énervés, les agriculteurs. Après les belles promesses que leur avait fait Gabriel Attal au printemps lors de leur dernière flambée de protestations, ils s’impatientent. Le Premier ministre avait promis moins de normes, moins de contrôles et plus d’argent. Ils ne voient rien venir et s’inquiètent des ultimes tractations autour de l’accord Mercosur entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Ils le craignent : bientôt les Brésiliens, les Argentins ou les Chiliens pourront exporter à bon compte leurs volailles, leur sucre et leur miel en Europe. Pris en tenaille entre une concurrence internationale à bas coût salarial et leurs exploitations peu compétitives, les agriculteurs voient l’avenir en noir.
Ils ne sont pas les seuls. Michelin et Auchan avaient donné le coup d’envoi des suppressions d’emploi. Ils sont désormais suivis par les sous-traitants du secteur automobile ou de l’aéronautique. Airbus réduit la voilure et la grève de sept semaines de Boeing a raréfié les commandes. En visite éclair chez Michelin à Cholet, Marc Ferracci, ministre de l’Industrie, ne l’a pas caché : « il y aura d’autres annonces de fermetures de sites industriels ».
Ajoutons à cela que les plus petites entreprises ne sont pas épargnées, de plus en plus nombreuses à mettre la clé sous la porte après avoir remboursé les emprunts contractés pendant le Covid.
Il est loin le temps où Emmanuel Macron rêvait du plein emploi. Même si elle ouvre plus d’usines qu’elle n’en ferme, la France a détruit 25.000 emplois à l’automne, après les 28.000 supprimés l’été dernier. Les chefs d’entreprise sont convaincus que le pays est à un point de bascule ; ils redoutent le retour de ce « chômage de masse » que Macron se targuait d’avoir vaincu. Le taux de chômage a cessé de reculer pour se stabiliser à 7,8 % et l’on prévoit 8% en 2025. Patron du Medef, Patrick Martin estime à 140 000 le nombre des emplois qui pourraient être détruits en 2025.
Michel Barnier est donc attaqué de deux côtés : il doit combler le déficit abyssal de l’Etat et réduire sa dette, tout en affrontant un brutal retournement de conjoncture, inédit depuis la folle croissance post-Covid. Il ne peut plus évacuer la question provocante qu’on lui pose jusque dans son camp : la réduction du déficit de 60 milliards d’euros qu’il veut imposer dès l’an prochain, ne va-t-elle pas casser l’économie française et enclencher un cercle vicieux ? La croissance chute, les rentrées fiscales diminuent et le trou budgétaire se creuse au lieu de se résorber. Comme le disait élégamment Jacques Chirac, « les emmerdes volent toujours en escadrille » On comprend mieux pourquoi Michel Barnier n’exclut pas de quitter Matignon… un jour prochain.