La France au Liban : les secrets d’un retour
Malgré l’opposition d’Israël, la France sera garante du cessez-le-feu avec le Hezbollah. Le résultat d’un intense marchandage…
Dans la nuit de mardi à mercredi, l’Élysée a diffusé une déclaration conjointe du président Biden et du président Macron annonçant le cessez-le-feu entre Israël et le Liban cinq heures avant son entrée en vigueur : « les États-Unis et la France travailleront avec Israël et le Liban pour veiller à ce que cet arrangement soit mis en œuvre dans son intégralité et appliqué ». Ce succès de la diplomatie française a un prix…
Le texte prévoit la création d’une zone tampon au sud du fleuve Litani qui sera occupé par les Forces Armées Libanaise avec l’appui de la Finul. C’est exactement ce que stipulait la résolution 1701 des Nations-Unies à la suite de retrait de l’armée israélienne du sud du Liban en 2006. Résolution qui n’a jamais été suivie d’effet, les milices du Hezbollah ayant occupé cette partie du pays pour frapper Israël. Cette fois Paris et Washington, qui sont les garants de l’accord, se sont engagés à renforcer les capacités de l’armée libanaise. Une partie des fonds levés lors de la récente Conférence de Paris sur la reconstruction du Liban pourrait être mobilisée pour rebâtir une armée libanaise robuste et faire respecter le cessez-le-feu.
Depuis l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023 et le début des tirs du Hezbollah sur le nord d’Israël, les relations entre Paris et Tel Aviv, ont suivi un chemin en zigzag. Dans un premier temps Netanyahou a demandé à la France d’utiliser ses nombreuses relations auprès du personnel politique libanais pour faire passer des messages. Il s’agissait de voir, depuis Beyrouth, dans quelle mesure on pouvait infléchir la ligne du Hezbollah pour éviter la guerre. A cette époque Nasrallah était encore vivant et n’écoutait que Téhéran. Tout a basculé le 30 septembre avec l’invasion israélienne du Liban.
Les relations entre Macron et Netanyahou se sont dégradées bien avant cette étape. Au début de l’année, les critiques du Président français sur les ravages causés à Gaza par les bombardements israéliens ont agacé le Premier ministre israélien. En juin dernier, on avait fait savoir à Paris que les 69 sociétés israéliennes qui comptaient se rendre au Salon de l’armement « Eurosatory », n’étaient pas les bienvenus. Ensuite il y a eu l’incident diplomatique du 7 novembre lors de la visite du ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot à Jérusalem au cours de laquelle deux gendarmes français ont été arrêtés un instant au moment il visitait le site de l’église Pater Noster, une enclave gérée par la France. Enfin, le mandat d’arrêt lancé le 21 novembre par la CPI contre Netanyahou pour crime de guerre et crime contre l’humanité a fait monter la pression.
Dans un premier temps Jean-Noël Barrot répétait que « la France appliquera toujours le droit international », autrement dit, Paris, signataire du statut de Rome, comme 124 autres pays, allait suivre les réquisitions de la CPI rendant impossible une visite en France du Premier ministre israélien. Coup de théâtre mercredi, avec un communiqué du quai d’Orsay soulignant qu’il existe des immunités pour les états non-partie à la CPI en faisant référence à l’article 98 du statut de Rome et ajoutant que celles-ci « s’appliquent au Premier ministre Netanyahou ».
Entre l’annonce de la trêve au Liban sous le parrainage de la France avec les Etats-Unis et la précision du quai d’Orsay concernant la CPI, il n’y a que quelques heures de décalage. Cet enchaînement pose question et fait bondir les défenseurs des droits humains qui y voient, non sans raison, un coup terrible porté à la justice internationale.
Jusqu’à la dernière minute des négociations secrètes sur le Liban, Netanyahou n’a voulu laisser aucun rôle à Paris. Mas « les Libanais n’acceptaient pas de cessez-le-feu sans implication de la France », explique dans une interview au journal « Israël Hayom » Ofer Bronchtein, conseiller spécial du Président Macron pour les affaires du Proche-Orient. On peut en déduire que Joe Biden a imposé au Premier ministre israélien la présence de la France comme garante de l’accord avec les États-Unis. On dira aussi que sans la France, il n’y aurait pas eu d’accord sur le Liban. C’est sans doute vrai, mais fallait-il pour autant donner un gage de cette nature à Netanyahou ? Fallait-il oublier que l’essentiel des crimes de guerre ont été commis à Gaza ?