Crise politique : l’addition, s’il vous plaît !

par Gilles Bridier |  publié le 28/11/2024

Dissolution, instabilité, confusion et maintenant incertitude sur l’avenir du gouvernement : la crise politique tourne à la crise financière, qui se paiera en emplois perdus.

Manifestations contre la fermeture de l'usine Michelin à Cholet, le 6 novembre 2024. (Photo de Laetitia Notarianni / Hans Lucas via AFP)

Emmanuel Macron a joué au chamboule-tout et la France passe à la caisse. Pour un ancien ministre de l’Économie, le chef de l’État a fait preuve d’un coupable manque de vision en décidant de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin dernier. À moins que ce coup de tonnerre ne fût qu’un coup de poker – tout aussi coupable lorsque l’avenir du pays est en jeu. Car même si la suite était difficile à prévoir, le chaos dans lequel le pays est plongé pouvait être anticipé, compte tenu des tensions internes. Foncer vers le chiffon rouge ? Un président ne devrait pas faire ça !

Pour éviter la crise, l’exécutif aurait dû rassurer. Rassurer les électeurs en adaptant avec souplesse sa politique, quitte à remettre en question des principes de gouvernance qui n’ont pas démontré leur efficacité – tels le fameux « ruissellement » ou la « flat tax ». Mais il aurait fallu pour cela briser certains dogmes économiques sur lesquels campent la macronie.

Rassurer, aussi, les entrepreneurs, pour qu’ils développent leurs activités au lieu de réduire la voilure. Résultat : 250.000 emplois seraient aujourd’hui menacés, selon les syndicats et le patronat. Rassurer, enfin, les investisseurs internationaux qui détiennent plus de la moitié de la dette publique. Quand on traîne un endettement de 3 224 milliards d’euros, soit 112% du produit intérieur brut (PIB), mieux vaut entretenir leur confiance pour qu’ils continuent de souscrire – aux meilleures conditions – aux emprunts vitaux pour le fonctionnement de la nation.

Le scénario du pire

Une majorité introuvable dans la nouvelle Assemblée, un gouvernement dos au mur, sans aucune marge de manoeuvre pour enrayer les déficits, un total manque de visibilité sur les choix politiques et l’avenir économique du pays… Le scénario qui se déroule est celui du pire. Voilà qu’une défiance nouvelle s’installe dans le pays et sur les marchés financiers. Cela va coûter fort cher à l’État, au moment où il cherche à réduire les dépenses.

Il est loin, le temps où l’ex-ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, se targuait devant les sénateurs de pouvoir emprunter à des taux négatifs sur les marchés financiers, parce les investisseurs se bousculaient pour acheter de la dette française. On était en 2017, certes. Mais il était évident que cette situation se retournerait un jour. Attention, danger ! Il faudra rembourser les emprunts souscrits bon marché en contractant d’autres emprunts plus chers.

Du coup, le service de la dette, qui désigne le montant des intérêts versés par le Trésor public, s’alourdit chaque année. De 36 milliards en 2020, indique l’agence France Trésor, la charge budgétaire nette de la dette a approché les 55 milliards en 2023. Le recul de la confiance se traduit par un écart de taux entre la France et l’Allemagne : 3,03% pour la France contre 2,19% pour l’Allemagne. Le différentiel semble minime. Mais lorsqu’on s’apprête à lancer pour 300 milliards d’euros d’emprunts en 2025, cet écart de taux inflige à la France, à montant égal, un surcoût de 2,4 milliards d’euros par rapport à l’Allemagne. Même la Grèce inspire plus confiance : son spread vis à vis de l’Allemagne est moins élevé que celui de la France.

L’économie dans le brouillard

Considérations obscurément techniques ? Non ! Le manque de visibilité a des conséquences bien concrètes. Comment les industriels peuvent-ils investir quand ils ignorent les charges qui pèseront sur le coût du travail ? Comment intéresser des partenaires financiers lorsque l’incertitude est totale sur la rentabilité des opérations futures ? Comment pérenniser une activité lorsque les consommateurs deviennent plus frileux parce qu’ils anticipent des contraintes financières plus fortes ?

Dans un tel contexte, le scénario est connu : les entreprises réduisent les coûts. Michelin, Arcelor, Valeo, Stellantis, ont déjà annoncé baisses d’activité, réductions d’effectifs, fermetures d’usines et reports d’investissements. Certes, les tensions existaient déjà. Mais la crise politique et les incertitudes économiques ont sonné le repli. À coup sûr, les industriels étrangers qui s’étaient engagés dans le cadre du sommet « Choose France » à investir quelque 15 milliards d’euros dans 56 projets en mai dernier, vont hésiter à concrétiser leurs promesses. Avant d’opter éventuellement pour un autre pays d’accueil : les candidats ne manquent pas. En un mot : l’addition de la crise se paiera en emplois. 

Gilles Bridier