La France malade de son État

par Bernard Attali |  publié le 21/12/2023

La France a été construite autour et par un Etat fort. Ce n’est plus le cas quand les politiques se démettent

Arriver à déchirer le Parlement la classe politique et le pays sur un sujet qui mériterait calme et consensus relève de la maladresse politique. Mais faire voter un texte qui précarise les étrangers en situation régulière tout en se disant désireux de faciliter leur intégration relève de la schizophrénie.  

La méthode elle-même est aussi surprenante que le fond. Comment peut-on faire voter une loi en sachant parfaitement que certaines de ses dispositions ne respectent pas la Constitution ? Et s’en laver les mains en renvoyant le débat au Conseil Constitutionnel ? Faire de cette institution majeure la voiture-balai des insuffisances gouvernementales ne la grandit pas. 

Certes ce n’est pas la première fois que l’État se défausse de ses responsabilités. On ne compte plus le nombre d’autorités indépendantes et autres hauts conseils qui exercent aujourd’hui des fonctions régaliennes en lieu et place des instances légitimes. On ne compte plus les forces qui contribuent à la dilution de l’État jusqu’aux conventions citoyennes tirées au sort.

En agissant ainsi les politiques avalisent elles-mêmes leur impotence. Gulliver se fait enchaîner par les nains. Si l’on y ajoute la suprématie accordée au droit européen – qui, soit dit en passant, n’a jamais fait l’objet du moindre débat ni accord international – on ne s’étonnera pas du scepticisme général des citoyens sur la capacité des dirigeants politiques à les gouverner.

La France a été construite autour et par un État fort. La Constitution de 1958 avait rétabli la primauté de l’exécutif. Le pays n’a pas eu à le regretter tant que l’équilibre de la loi fondamentale n’a pas été dénaturé. Ce n’est plus le cas : avoir réduit le mandat présidentiel à cinq ans a contribué à cet affaissement. Le Président n’est plus un arbitre, mais un joueur sur le terrain, un politique qui court après l’évènement au lieu de l’anticiper. L’autorité de l’État en est grandement affectée. Gauche et droite sont ensemble responsables de cette erreur. Gauche et droite devraient avoir le courage d’y remédier.

Or, plus la société est complexe plus elle doit être conduite d’une main ferme. Par ailleurs il suffit de voir le pouvoir exorbitant que s’octroient souvent les juges, en toute irresponsabilité, pour réaliser l’ampleur du malaise qui caractérise aujourd’hui le fonctionnement de nos institutions.

Une Nation sans État n’est qu’une foule sans chef. Si l’excès d’État détruit la société, son insuffisance la met aussi en péril. À force de se démettre, les hommes politiques de ce pays se déconsidèrent et légitiment la montée des extrémistes qui se flattent, eux, d’efficacité.

Au lieu de parler de 6e République je suggère qu’on en revienne à la 5e. S’il en est encore temps. 

Bernard Attali

Editorialiste