La France sans l’Afrique

publié le 27/01/2024

L’influence française ne cesse de reculer dans les pays africains. On aurait grand tort de penser que ce retrait se fera à leur bénéfice. Par François Hollande

Le président français François Hollande au palais de l'Élysée à Paris, le 11 mai 2017. -Photo JOEL SAGET / AFP

La « Françafrique » avait mauvaise réputation. Depuis les origines de la Vème République, la France avait maintenu avec l’Afrique des rapports aussi ambigus que contestables : un paternalisme qui n’était pas sans rappeler le fait colonial ; la présence d’entreprises soucieuses de préserver leur pré carré plus que d’associer leurs homologues locales à leurs investissements ; des accords de défense qui permettaient aux forces françaises de disposer de bases pour leurs opérations extérieures ; un lien monétaire avec le franc CFA que les élites africaines regardaient comme la survivance d’un temps révolu.

Ces travers finissaient par faire oublier l’ampleur de l’aide au développement que la France prodiguait en Afrique, comme la coopération qu’elle entretenait en matière de santé et d’éducation ou de protection contre les menaces extérieures, sans oublier l’accueil sur notre sol de nombreux étudiants africains. Aussi bien, au fil du temps, la Françafrique, dont certains réseaux de financement avaient encore terni la réputation, s’était changée en une coopération plus équilibrée et plus respectueuse, tout en maintenant des relations personnelles fortes entre les dirigeants africains et les autorités françaises.

Comme président, j’ai veillé à renforcer ce lien, pas seulement avec l’espace francophone, mais avec l’ensemble du continent. J’ai aussi dû répondre aux sollicitations des Africains confrontés aux menées djihadistes et au risque de guerre civile, comme en Centrafrique. Ce fut le sens des opérations militaires que j’ai décidées au Mali et à Bangui, ou celui de l’opération Barkhane, avec les moyens que nous avons déployés dans la zone sahélienne. La France a encore apporté son concours au Nigéria, face aux attaques de Boko Haram et tout son soutien à la République démocratique du Congo, face aux violences et aux prédations qui affectent l’est de ce grand pays.

Nous l’avons fait, non pas pour chercher je ne sais quel intérêt matériel ou stratégique, mais parce que c’était notre devoir de solidarité. Nous n’avons d’ailleurs pas limité nos interventions aux seules questions de sécurité. Avec les Africains, nous avons plaidé pour la cause climatique à la COP 21 et nous nous sommes efforcés d’accélérer la transition énergétique du continent, notamment pour l’accès à l’électricité.

Je ne prétends pas que nous ayons levé toutes les réserves et vaincu tous les préjugés. Mais les anciennes méthodes de la Françafrique n’avaient plus cours et nous avons évité de laisser la place à d’autres puissances, moins regardantes sur les principes de transparence et de démocratie et davantage portées sur le contrôle des terres rares et des minéraux précieux et des ports stratégiques.

Nul doute que notre présence militaire au Sahel a été utilisée par la Russie, la Chine et la Turquie – et sans doute par d’autres pays – pour réanimer les soupçons de néo-colonialisme et attiser les ressentiments envers la France, liés aux difficultés économiques du continent. À partir de 2021, au Mali, au Burkina, au Niger, les putschistes ont joué sur cette corde pour renverser les autorités civiles démocratiquement élues et pour éloigner la France en mettant fin aux coopérations militaires auxquelles nos soldats avaient pourtant payé un lourd tribut.

Faute de réagir à temps, faute de prévenir assez tôt ces agissements, faute d’avoir sous-estimé les déstabilisations ourdies par les services russes et leurs auxiliaires Wagner, la France a dû quitter le Sahel, à l’exception d’une base au Tchad. Son influence est en recul partout, et au-delà même de cette région.

Pendant ce temps, le vide est comblé, non seulement par les puissances rivales – la Chine et la Russie – mais par nos propres partenaires. Les États-Unis, avec la tournée du secrétaire d’État Blinken, prodiguent conseils et éventuellement assistance. L’Italie, avec Meloni, promet un plan d’investissement pour toute l’Afrique. L’Allemagne a compris l’enjeu économique représenté par le continent et envisage de nombreux investissements. La Hongrie d’Orban elle-même, complice probable de la Russie, promet un soutien militaire aux pays menacés par les djihadistes.

Ce retrait de la France d’Afrique est d’autant plus préjudiciable qu’il a provoqué un délitement sécuritaire dans tout l’ouest du continent. Au Mali, l’accord d’Alger, signé en 2015 et qui ouvrait un dialogue entre les autonomistes du nord et Bamako, a été rompu, au grand dam des groupes non-djihadistes qui avaient joué le jeu et qui avaient même aidé la France à écarter les terroristes. La force des Nations Unies, la MINUSMA, s’est elle-même retirée et ses installations font l’objet de batailles entre factions pour leur contrôle. Au Niger, les combats ont repris, infligeant de lourds dommages à la population civile dans le sud-est du pays. L’Iran vient de proposer ses services pour contourner les sanctions et se targue d’encourager la résistance des pays africains aux politiques hégémoniques européennes et au colonialisme.

La Russie propose son soutien militaire à tous les régimes qui font appel à elle. Le Burkina Faso dépend de la Russie pour son blé et Poutine a été jusqu’à organiser en juillet dernier un sommet Russie-Afrique en multipliant les dons de céréales en échange de coopérations plus avancées en matière de défense. Plus grave encore, peut-être, la migration a repris à un rythme accéléré et Gades, au Niger, est redevenue la plaque tournante de tous les trafics humains.

Parallèlement, en Libye comme en Tunisie, la France a perdu de nombreux appuis et, là aussi, des puissances rivales s’installent, sans qu’en Algérie et au Maroc nous ayons apaisé nos différends. À Djibouti, dans cette corne de l’Afrique stratégique, là où nous avons une présence militaire d’environ 1500 hommes, les Chinois viennent de créer une base qui monte rapidement en puissance et qui vise à contrôler le détroit de Bab-el-Mandeb.

Ainsi, au moment où d’autres prennent pied en Afrique, la France perd la main. La confrontation entre régimes autoritaires et démocraties se joue aussi sur le continent africain. Les alliances nouvelles se forment. Elles ont à l’image de ce qui se produit sur l’ensemble de la planète, mais cette évolution est encore plus préoccupante pour la France. La France sans l’Afrique perdrait son influence, nuirait à sa langue et fragiliserait sa sécurité. Mais l’Afrique sans la France serait livrée à des intérêts qui l’exposeraient au pillage de ses ressources, à la dépendance militaire et à des entraves à son développement. Sans compter le relâchement du lien avec un pays, le nôtre, tissé par la géographie, la politique et, surtout, par les échanges humains.

La Françafrique est une page depuis longtemps tournée. En revanche, la France sans l’Afrique serait, pour l’une comme pour l’autre, un déchirement et l’ouverture d’un cycle dont nul ne sait comment il se terminerait. Le temps d’une nouvelle stratégie est donc venu. Elle doit être fondée sur l’investissement, l’indépendance et la formation. De la stabilité et du développement de l’Afrique dépendent aussi notre sécurité, notre croissance et notre rayonnement.