La gauche doit regarder la dette en face

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 29/09/2024

L’endettement de la France atteint un niveau inquiétant. Une gauche qui veut gouverner ne peut pas faire comme si la menace n’existait pas…

Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, lors d'une conférence de presse pour présenter le rapport financier annuel, le 12 mars 2024. (Photo de Dimitar DILKOFF / AFP)

Le gouvernement l’a annoncé sans ambages : la France va faire des économies. Michel Barnier dévoilera son plan la semaine prochaine, un mélange de réductions de dépenses et d’augmentations d’impôts encore à préciser. La gauche fera-t-elle jouer son réflexe de Pavlov pour critiquer toute mesure de coupe budgétaire, jugeant qu’il y a atteinte au modèle social français ? Ou saisira-t-elle l’occasion de mettre en avant des propositions constructives, en répondant clairement à la question posée : pour maîtriser la dette, peut-on éviter de réduire le train de vie de la nation ?

Une nation qui détient deux records : elle a le plus fort taux de dépenses publiques d’Europe et le plus faible temps de travail. Totem et tabou. La gauche sociale-démocrate, qui peut arriver au pouvoir, qui sait, dans un mois, dans un an, devra forcément les affronter. Après tout, elle l’a déjà fait : Jospin et Hollande, en leur temps, s’étaient efforcés de limiter les déficits, même si le second avait surtout recouru aux hausses d’impôts…

Le plus fort taux de dépenses publiques. Couplé avec le plus fort taux de prélèvements obligatoires, la piste des impôts est forcément limitée, même si elle est empruntée par souci de justice fiscale. Reste donc à s’attaquer au totem des dépenses. Elles permettent de financer un système généreux qu’il n’est pas question de remettre en cause. Au moins pourrait-on attendre qu’il rende des services satisfaisants. Or en dépit de ces dépenses record, les Français, à juste titre, se plaignent d’un hôpital malade, d’une police sous équipée, d’une école en crise. Ce paradoxe mériterait qu’on s’interroge sur l’usage des fonds. Une meilleure utilisation n’est-elle pas envisageable ? Organisation, répartition, évaluation… Est-il vraiment impossible de dépenser mieux et moins ? La gauche ne se déshonorerait pas en fournissant ses idées pour y parvenir.

Les rapports de la Cour des comptes fourmillent de propositions. Son premier-président, Pierre Moscovici, ancien ministre socialiste des Finances, insiste aujourd’hui sur la nécessité de réduire les dépenses. Des pans d’activité sont régulièrement pointés pour leur discutable utilité, comme les personnels qui y sont affectés. Y a-t-il trop d’agents publics, par exemple ? Leur nombre a augmenté de plus d’un million en 23 ans et constituent 21% des personnes au travail. La moyenne de l’OCDE est 19% – la différence n’est pas énorme – mais le taux allemand se situe à 11%. Peut-être pourrait-on mieux combattre la bureaucratie…

On sait, par exemple, que le personnel d’encadrement en matière de santé est de 10% supérieur en France à celui de ses voisins, que beaucoup de profs affectés à des tâches diverses ne voient jamais un élève, et que le millefeuille administratif produit des doublons toujours dénoncés, jamais supprimés, en particulier dans les collectivités locales. On peut être de gauche et vouloir y remédier…

Le plus faible temps de travail. Entre les arrivées tardives sur le marché du travail, et les départs plus précoces que la plupart de ses voisins, la France peine à équilibrer ses comptes sociaux. Moins il y a de personnes au travail, moins il y a de cotisations pour financer le système, notamment les retraites. On tombe là sur un tabou qui a la vie dure. L’évolution de la démographie conduit tous les pays du monde à retarder l’âge de départ d’activité, que leurs gouvernements soient de gauche ou de droite. Les socialistes français peinent à l’admettre. Faut-il annuler la réforme des retraites, comme le demande le Nouveau Front Populaire, ou bien chercher un moyen de rendre la réforme plus juste tout en rééquilibrant progressivement les comptes ?

Rappelons un paradoxe que la gauche a tendance à passer sous silence. A chaque réforme réalisée sur ce point par la droite, elle critique, s’indigne, défile, avant de l’entériner une fois au pouvoir : Lionel Jospin n’est pas revenu sur les mesures Balladur, François Hollande sur celles de Sarkozy. Il y a même ajouté la réforme Touraine qui exige un plus grand nombre d’années de cotisations pour partir avec une retraite à taux plein. Continuer à ajuster le moment de cesser le travail pour tenir compte du vieillissement de la population semble incontournable. Est-ce si difficile de regarder cette réalité en face ? Le débat qui s’annonce sur les « améliorations » que Michel Barnier propose d’apporter à la réforme Macron sera une nouvelle épreuve de vérité sur ce sujet brûlant. Les sociaux-démocrates français ne semblent toujours pas prêts à envisager ce que leurs homologues européens ont accepté. Il faut à coup sûr que les salariés qui ont eu des carrières longues ou pénibles partent plus tôt. L’espérance de vie s’étant allongée, cela n’empêche pas de faire travailler plus longtemps les personnes en état de le faire. Elles sont heureusement nombreuses.

La gauche ne reviendra au pouvoir qu’avec un fort pôle social-démocrate. Celui-ci ne sera crédible qu’en se distinguant de ses partenaires LFI qui ne rêvent que de dépenses supplémentaires. La taxation des plus favorisés relève de la justice, mais elle ne suffit pas. Ajouter des milliards au déficit des dépenses courantes ne paraît plus de saison, d’autant que si l’on en croit Mario Draghi, le retard technologique de l’Europe et la lutte pour le climat exigent des investissements massifs. Quelles réponses pour ce casse-tête ? On attend de la gauche de gouvernement, qui compte de nombreux beaux esprits, des solutions à la hauteur de ses ambitions.

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse