La gauche et la drogue
Le discours lénifiant souvent tenu à gauche sur l’usage et la vente de stupéfiants n’est plus de saison : la France est désormais confrontée à un risque majeur de « mexicanisation » du trafic sur son territoire.
Le diagnostic est quasi consensuel : le trafic de drogue ne cesse de s’étendre en France, donnant lieu à une débauche de violences, de tortures et d’assassinat qui touche à la fois les villes et les campagnes. Un rapport sénatorial au printemps dernier avait sonné le tocsin ; il a été confirmé par le rapport de Jean-François Ricard, ancien procureur national antiterroriste, publié cet automne et réalisé avec le concours de tous les acteurs et responsables, de droite ou de gauche.
Devant l’urgence, les palinodies qu’on entend souvent à gauche sur ce sujet sont totalement décalées, à commencer par la réaction lénifiante suscitée par la récente arrestation d’un député LFI en flagrant délit d’achat d’une substance dangereuse et illicite. « C’est une affaire de santé publique », dit-on, par exemple, chez les écologistes, tandis que les autres partis de gauche se distinguent par un courageux mutisme.
Cet aspect des choses, au demeurant, n’avait échappé à personne : il faut soigner les consommateurs en proie à de nuisibles addictions. Mais la sanction reste pour le moins nécessaire. Le trafic est en effet organisé par des réseaux de plus en plus riches et impitoyables, sur lesquels le discours de la prévention n’a évidemment aucun effet. Ces réseaux sont dotés, en sus d’une organisation implacable et cruelle, d’une capacité de recrutement par le marketing subreptice des produits qui conduit à un accroissement incessant de la consommation. Leur puissance financière est telle qu’on craint désormais la corruption des agents publics, assortie de menaces ad hominem, à la manière de ce qui se pratique en Amérique latine.
Les bonnes âmes continuent à prêcher pour une libéralisation du cannabis, laquelle donne des résultats très inégaux dans les pays qui l’ont expérimentée. Admissible en soi, elle n’empêche en rien le report des réseaux clandestins sur des substances plus dangereuses. Les trafiquants qui se détournent du cannabis à cause de sa légalisation se rattrapent avec énergie sur la cocaïne, l’héroïne ou les composés chimiques à base de médicaments. Quant à légaliser aussi ces « drogues dures », ceux qui s’y sont essayés en reviennent. La Colombie britannique au Canada et l’Oregon aux États-Unis viennent de resserrer la répression de la détention et de la vente de ces produits après les avoir tolérées en pariant sur des actions de santé publique. Pour une raison simple : la libéralisation a provoqué une explosion de la consommation et des surdoses.
Comme toujours, ce sont les membres des classes défavorisées ou marginalisées qui paient le prix fort de l’inaction. Les uns sont entraînés vers l’addiction, les autres subissent de plein fouet l’explosion des règlements de compte et la prise de pouvoir des dealers sur certains quartiers ou certaines zones. La gauche a donc toutes les raisons de saisir de ce problème à bras-le-corps et de ne pas laisser la droite et l’extrême-droite le faire dans une optique exclusivement répressive.
Augmentation des moyens, accroissement des efforts de renseignement numérique et humain, mise en place d’un parquet national dédié, capable d’orienter et de coordonner l’action de la police et de la justice dans ce domaine. Sur ce dernier point, la gauche aurait tout avantage à demander que le projet de loi préparé en ce sens par Éric Dupond-Moretti soit très prochainement mis à l’ordre du jour des débats parlementaires. Il est plus urgent que la création d’un avantage fiscal en faveur des propriétaires d’animaux de compagnie…
Faute de cette prise de conscience, la gauche concourra à l’inertie face au développement des mafias de la drogue, qui a pris la dimension d’un fléau national, ou bien laissera à ses adversaires le soin d’alerter et d’agir. Et d’en tirer les avantages politiques subséquents.