La grande menace des narcos
Un candidat à la présidentielle assassiné par les narcos en Équateur : on aurait grand tort d’y voir seulement un phénomène exotique et lointain
Fernando Villavicencio, candidat centriste à l’élection présidentielle en Équateur, a été abattu de trois balles dans la tête en sortant d’un meeting électoral. Neuf autres personnes ont été blessées lors de l’attentat, qui porte la marque des « sicarios », ces tueurs à gages stipendiés par les trafiquants de drogue latino-américains. Journaliste, crédité d’une deuxième place dans les sondages, Fernando Villavicencio était connu pour ses dénonciations virulentes de la corruption qui touche la démocratie équatorienne. Dans son dernier discours, qui prend une résonance tragique, il avait évoqué les menaces qui pèsent sur la vie des Équatoriens et de leurs représentants rétifs au pouvoir des narcos.
Vu d’Europe, l’événement paraît à la fois lointain et dramatiquement banal. Les assassinats d’élus sont monnaie courante depuis des décennies dans les pays où sont implantés les grands cartels de la drogue. Le fléau, qui a causé au fil des ans des centaines de milliers de morts, est profondément enraciné dans les sociétés latino-américaines, où les gigantesques profits nés de la vente des stupéfiants ont procuré au crime organisé une puissance hors du commun, capable de défier les gouvernements eux-mêmes, à la manière d’un État dans l’État.
On aurait grand tort d’y voir un phénomène exotique. Longtemps épargnée par le phénomène, l’Europe est touchée à son tour depuis une ou deux décennies. Certes, les trafiquants n’ont pas encore acquis la puissance des narcos sud-américains, les assassinats politiques sont encore rares, la corruption paraît contenue et les réseaux criminels n’osent pas encore défier ouvertement la puissance publique. Mais peu à peu, les bases du même mal se mettent en place. Les profits nés de la vente de cannabis, de cocaïne et des autres produits dérivés sont déjà énormes. Les trafiquants tiennent sous leur coupe nombre de quartiers ou de groupes d’immeubles dans les grandes villes du continent, remplaçant la loi républicaine par celle de la violence quotidienne, de la torture et de l’exécution sommaire. Les grands ports européens sont gangrénés et la corruption des dockers ou de certains agents publics devient fréquente. Dans certains pays, les Pays-Bas notamment, des ministres ou des maires ont été menacés ainsi que leur famille. En un mot, les prémisses de la naissance d’un narco-pouvoir européen sont déjà visibles.
Les autorités ont dégagé des moyens croissants pour lutter contre cette plaie du 21ème siècle. Mais l’exemple sud-américain montre qu’une fois installé, le pouvoir des cartels est très difficile à éradiquer. Outre leur puissance financière et la brutalité sans limite de leurs méthodes, les trafiquants sont soutenus par une consommation massive dans les pays riches, qui est passée dans les mœurs. Du coup, l’interdiction engendre un phénomène de prohibition à l’américaine et la légalisation, souvent décevante, ne peut concerner que les produits les moins nocifs comme le cannabis.
La lutte contre le trafic doit figurer au premier rang des objectifs d’une politique de santé et de sécurité. Mais sans une prise de conscience rapide, on doit craindre que la montée en puissance continue inexorablement. Il faut le rappeler : tout consommateur de stupéfiant, fumeur de joint sympathique ou cadre urbain amateur de coke, est aussi le complice de ces vastes organisations de tueurs et de tortionnaires. Au moment où chacun s’inquiète à juste titre de la traçabilité des produits disponibles dans le commerce, il est bon de rappeler l’origine réelle des produits prohibés qu’on consomme souvent entre amis, avec l’agréable frisson de l’interdit.