La grogne agricole enfle
Manifestations diverses qui révèlent un malaise aux multiples causes et des exploitations fragilisées. Alors que l’agriculture doit elle aussi entamer sa lutte contre le réchauffement climatique
C’est un mouvement de fond, encore à bas bruit, mais qui ne cesse de s’amplifier et va finir pas cingler, comme une averse orageuse, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire ? La météo agricole pourrait bien lui infliger une jolie rincée.
Depuis quelques semaines les Jeunes Agriculteurs ont eu l’idée simple, d’inverser au bord des routes, tête en bas, les panneaux d’entrée des communes. Selon eux, en matière de politique agricole « on marche sur la tête ». Ils ont le sens de l’humour. Et celui de la mobilisation. Plus de cinquante départements sont concernés par cette initiative aux quatre coins du pays. Et lentement et sûrement, les contestataires mettent l’opinion publique dans leur poche.
Selon leur président, Arnaud Gaillot, l’État est « dans l’empilement d’injonctions, souvent contradictoires et visiblement inefficaces. » Il dénonce des situations très difficiles pour nombre d’exploitations, « une pression constante de la société et des pouvoirs publics pour opérer des transitions mal pensées » et réclame « une respiration normative » avec une « vision à long terme ».
Plus concrètement, ce malaise va du manque de main-d’œuvre à la pénibilité du travail, des nouvelles habitudes de consommation à l’augmentation des importations, du déficit de structuration des filières à la difficulté de capter davantage de valeur.
Dans ce contexte, l’évolution de leur activité liée au changement climatique devient un facteur central d’explication de leurs difficultés. Et si l’on évoque l’indispensable souveraineté alimentaire du pays, il est évident qu’il faut absolument accompagner ceux qui sont censés y contribuer.
Les 5000 vignerons coopérateurs et indépendants venus de la vallée du Rhône et des départements languedociens limitrophes de la Méditerranée ne voulaient pas exprimer autre chose, samedi dernier dans la rue à Narbonne. Les cours du vin n’ont pas bougé depuis 15 ans selon Jérôme Despey, vice-président de la FNSEA. Les importations ont augmenté, les négociants sont montrés du doigt, les jeunes vignerons et vigneronnes ne parviennent pas à faire face aux charges, l’irrigation est remise en cause.
L’arrachage (déjà massivement utilisé depuis 1977 avec près de 200 000 ha de vignoble supprimé en Languedoc-Roussillon) est à nouveau évoqué. Le Bordelais vient de débuter le sien sur 9 500 ha. La crise est une nouvelle fois au rendez-vous. Le préfet de l’Hérault, François-Xavier Lauch, reconnaît que « pour certains il s’agit d’une question de vie ou de mort ». Frédéric Rouanet, le président du Syndicat audois des vignerons, menace : « Un vigneron ne crève pas sans se battre ». On retrouve les accents de la terrible crise de 1976 qui provoqua, à son paroxysme le 4 mars, deux morts à Montredon, aux portes de Narbonne. La colère est réelle.
Pourtant « la balance commerciale de la France, selon Arnaud Gaillot, a été excédentaire de près de 9,4 milliards d’euros en 2022, le budget du ministère est en progression d’un milliard pour 2024 et les lycées agricoles sont pleins et offrent un taux d’insertion professionnelle de 87 à 94 % ».
Raison de plus, pour soutenir ceux qui sont en difficulté au moment crucial où l’agriculture entame sa transition vers une activité plus conforme aux exigences du réchauffement climatique.