La lente agonie de la république: les creusets brisés (3)
Politique de la ville, service national, école, vie associative, police : les erreurs qui nous ont conduits où nous sommes. Par Philippe Dorthe *
En faisant abstraction de son côté purement militaire, le Service National a participé pendant des générations à la prise de conscience de la jeunesse d’appartenir à la même république, à la même nation. Qu’on le veuille ou non, il a mélangé toutes les classes sociales. Les jeunes au parcours scolaire difficile se rendaient compte que leurs camarades plus favorisés étaient abordables et inversement les plus diplômés ont découvert le potentiel différent ou gâché des jeunes les plus démunis. Les membres du groupe étaient soumis aux mêmes règles, aux mêmes efforts physiques. Autant de petites choses qui cimentaient le groupe. En quelque sorte l’apprentissage du « faire nation ».
La suppression de ce passage initiatique a participé à l’effondrement de l’esprit républicain, remplacé par les communautarismes. La rénovation de cette obligation républicaine était nécessaire. La mixité incontournable, la durée révisée et les affectations plus en lien avec la société civile.
L’école, dont la mission de base doit être d’apprendre à lire, à écrire et compter en y rajoutant les fondations de la sociabilisation, de la connaissance de l’Histoire et la sensibilisation au civisme, n’est-elle pas victime du grand bal des experts en pédagogie ? Si cette valse s’accélère, le sujet n’est pas d’aujourd’hui. Le combat entre les anciens et les modernes, pugilat idéologique, n’a cessé de faire des victimes chez les élèves et chez les enseignants.
Déjà dans les années 1960, on a assisté au combat entre les modernes inventeurs d’une nouvelle méthode pour apprendre à lire et à écrire la « méthode globale » qui consistait à faire reconnaître un ensemble de mots avant d’en analyser les éléments et les anciens qui défendaient bec et ongle la « méthode syllabique » le fameux B+A = BA, c’est à dire partir des syllabes pour aller vers le mot.
Il est reconnu aujourd’hui que la méthode globale fut un échec handicapant au moins deux générations d’élèves, qui devenus adultes et quelle que soit leur position sociale ont été touché par le manque de confiance en soi à l’écrit. Cet élément de blocage a fait lâcher prise à un nombre considérable d’individus aux capacités à fort potentiel. Cet exemple historique cache une multitude d’autres programmes qui sont chacun autant de sujets d’autosatisfaction de leurs inventeurs et évidement autant de manuels faisant les choux gras des éditeurs.
Nos institutrices et instituteurs parachutés au milieu de ces décennies de gribouillis pédagogiques, dans des classes surchargées n’arrivent plus à endiguer un mal qui touche nos enfants et particulièrement ceux des classes les plus défavorisées.
Les fondamentaux qui firent pourtant leurs preuves, avec le moment de morale le matin en arrivant en classe, l’apprentissage du respect en se levant de son siège quand un adulte entre, le respect de son maître ou de sa maîtresse tout cela disparaît lentement. Les nouveaux spécialistes en sciences de l’éducation continuent de jouer les apprentis sorciers, et maintenant on nous parle de pédagogie inversée, de pédagogie active… Mais les cobayes sont toujours nos enfants.
La vie associative française, unique avec sa loi de 1901, a pendant plus d’un siècle rempli une mission citoyenne fondamentale et particulièrement dans le domaine de l’éducation populaire souvent liée à l’école publique.
Pendant des années dans les secteurs difficiles, qui sont loin de se cantonner aux grands ensembles, de nombreuses associations ont assuré un travail de fond d’apprentissage de la citoyenneté et de l’émancipation des jeunes. Aujourd’hui ces actions au service de l’intérêt général de la jeunesse s’étiolent pour de multiples raisons.
Notre société du 21e siècle est touchée par une métamorphose exponentielle et chronique. Cette mutation vertigineuse suit l’air du temps. Le bénévolat est devenu un concept archaïque. Ce qui reste d’activités associatives est devenu un produit de consommation où le « consommateur » ne perçoit même plus l’investissement bénévole de quelques parents ou de quelques anciens. Il se trouve même des cas où l’association est prise à partie par des « consommateurs » mécontents. Quand on demande aux parents de s’engager dans l’association pour aider, on vous regarde comme un Martien. Comment est-il possible d’avoir une activité non rémunérée ?
Le seul bénévolat associatif qui trouve encore des membres actifs c’est celui qui s’opère dans les associations de défense. Il s’agit bien souvent de petits intérêts personnels qui se regroupent pour tenter de peser plus. Le sujet réglé avec solution ou sans solution, l’association s’évapore aussi vite qu’elle s’est créée.
Il faut dire aussi que les administrations, certainement dans un souci de bonne gestion des deniers publics, n’ont pas vraiment aidé le secteur.
La mort progressive du bénévolat a été aussi en partie la résultante d’une trop forte demande de professionnalisation du monde associatif. De plus en plus c’est le choix des politiques publiques au travers des appels à projets qui oblige les associations à changer leur objet pour tenter d’avoir une subvention. Le responsable associatif, chargé d’une responsabilité de plus en plus angoissante pour lui, doit passer 80% de son temps à remplir des dossiers et des formulaires et 20% pour mener une action, qui dans ce système n’est plus tout à fait celle de l’objet même de son association.
Cette réalité a créé une véritable hémorragie des bénévoles.
Le sujet et ses déviances méritent une réflexion très approfondie et des débats sérieux. La loi de 1901 ne doit-elle pas rester l’outil juridique de la vie associative dans son esprit originel ? Les associations à missions sociales officielles, parfois de véritables administrations au service des politiques publiques, ne devraient-elles pas trouver un statut juridique nouveau ?
Ce grand flou, ces pertes d’énergie, ce stress imposé aux responsables bénévoles, emportent peu à peu l’esprit de l’engagement au service des autres et particulièrement des jeunes. Voici encore une strate de notre pâte feuilletée qui ouvre une autre brèche dans les digues républicaines si efficaces dans les secteurs difficiles.
*Conseiller régional et départemental honoraire (PS)