La menace persiste
Avec 34 % des suffrages au premier tour, le RN peut encore l’emporter au second, surtout si les triangulaires sont nombreuses.
Il était donné à 37 %, il obtient 34 % selon les premières estimations. C’est néanmoins une vague saumâtre qui vient de déferler sur le pays, une sorte d’insurrection électorale contre les élites, de plébiscite anti-mondialisation, de référendum anti-immigrés, un vaste désir d’ordre et d’identité qui bouscule la République et, par les moyens de la démocratie, menace les valeurs démocratiques. Nettement en tête de ce scrutin, et même si la gauche tire son épingle du jeu, le Rassemblement National atteint un sommet dans sa longue histoire. Et si la discipline républicaine ne joue pas, ou pas assez, il peut toujours atteindre la majorité absolue le 7 juillet prochain.
Jusque-là tenue en lisière par les réflexes républicains, dont la trop fréquente sollicitation a fini par émousser l’efficacité, l’extrême-droite devient la force dominante de la vie politique nationale et aspire maintenant à faire de la France le troisième pays de l’Union, après la Hongrie et l’Italie, à tomber dans l’escarcelle de l’extrême-droite nationaliste.
Événement historique, car il s’agit cette fois d’une nation essentielle à l’Europe, qui a longtemps guidé l’attelage avec l’Allemagne, et qui porte en elle l’héritage de la Révolution française, c’est-à-dire une bonne part des valeurs fondatrices de l’Union. Après la longue marche démocratique vers l’extension continue des droits et des libertés sur le continent, une nouvelle ère risque de s’ouvrir, qui verrait ces mêmes droits et ces mêmes libertés se réduire comme peau de chagrin. Le nationalisme triomphe, la démocratie recule.
À qui la faute ? Il y a bien sûr les causes générales : l’incapacité des autres forces politiques à trouver des solutions républicaines aux craintes et aux frustrations qui travaillent les classes populaires, dont on connaît les soubassements : la stagnation du pouvoir d’achat, l’insécurité, l’immigration et, par-dessus tout, le sentiment d’être dédaigné, parfois méprisé, par les couches dirigeantes.
Terrible échec
Mais comment ne pas remarquer, aussi, qu’en deux ans, le RN a doublé son score de la précédente législative (18 %), tenue dans la foulée de la réélection d’Emmanuel Macron. Et comment ne pas constater qu’au début du premier quinquennat, en 2017, le RN plafonnait à 13 % aux élections législatives ? Celui qui prétendait faire barrage à l’extrême-droite a vu le score de celle-ci presque tripler depuis qu’il est à l’Élysée. Terrible échec.
Comment ne pas souligner, aussi, l’immense service rendu aux lepénistes par la France insoumise ? En jouant le bruit et la fureur, en tirant sans cesse sur la corde de la radicalité, en maniant l’outrance et le sectarisme sans retenue, les mélenchonistes ont fini par faire passer le RN, qu’ils prétendaient combattre, pour un parti de gouvernement présentable, pour une force de calme et de stabilité, ce dont il a tiré tout le parti qu’on sait.
Une fois ces regrets exprimés vient l’heure du choix. Le RN réalise une performance historique, avec plus d’un tiers des suffrages. Mais les chiffres de ce premier tour montrent aussi, par définition, que plus de 60 % des Français ne souhaitent pas qu’il gouverne. C’est le morcellement de cette majorité qui donne ses chances de victoire à Jordan Bardella. À tout républicain, donc, s’impose un devoir simple et décisif : se réunir au second tour sur le candidat qui peut le battre.
C’est-à-dire, pour les forces politiques démocratiques, prévoir, dans toutes les triangulaires, le retrait de la candidature placée en troisième position. Et pour les électeurs, choisir le candidat républicain, quel qu’il soit, contre celui de l’intolérance nationaliste. Tous ceux qui hésiteront, qui ratiocineront, qui entretiendront le flou ou l’ambiguïté, porteront dans la défaite éventuelle une responsabilité historique.