La négociation des faux-semblants

par Sylvie Pierre-Brossolette |  publié le 06/12/2024

D’Emmanuel Macron à Marine Le Pen, en passant par la plupart des responsables politiques, mauvaise foi et faux-semblants polluent le débat

Les députés des deux extrémités du spectre politique se sont unis la veille pour voter l'éviction du gouvernement, après quoi le président Macron a décidé de s’adresser à la nation, via la télévision, le 5 décembre 2024. (Photo Daniel Dorko/Hans Lucas AFP)

C’est le bal des Tartuffe. Chacun, et chacune, n’a que l’intérêt de ses chers Français à la bouche, mais quand il s’agit de faire avancer le pays concrètement, on obtient, au mieux une poignée d’eau, au pire une pantalonnade. Personne n’est exempt de ce mal national qui creuse la défiance des citoyens tous les jours un peu plus.

A commencer par le chef de l’Etat. Dans une étrange allocution plus performatrice qu’autre chose, il a brassé le vide en maniant le verbe autoréalisateur, inventant une « ère nouvelle », où un gouvernement d’« intérêt général » ( encore heureux !) découvrirait enfin la martingale qui réconcilierait les contraires. Mode d’emploi inconnu. Aucune concession n’est avancée en vue du « compromis » suggéré. Comme les chœurs de l’opéra, il fait du sur place en chantant « marchons, marchons ! » De qui se moque-t-on ?

Ses pires ennemis ne sont pas en reste. Jean-Luc Mélenchon prétend faire le bonheur du peuple en chassant le tyran on ne sait comment, semant la zizanie à gauche, où les plus raisonnables préfèreraient attendre des échéances normales. Le lider maximo et ses zélotes vont répétant que si le Président ne se décide pas à appliquer tout leur programme, et rien que leur programme, il devra s’en aller. Double illusion : jamais l’Assemblée actuelle ne votera le programme du NFP et Emmanuel Macron est décidé à rester à l’Elysée.

Les vestales de ce mirage persistent à expliquer sur tous les plateaux que leur méthode est la bonne. De l’insoumise Manon Aubry à l’écologiste Clémentine Autain en passant par la plus gradée Mathilde Panot, elles ne veulent pas entendre parler de la nécessité de faire un pas vers l’adversaire pour qu’il en fasse autant. Sur la question totem des retraites, c’est tout ou rien, alors qu’il pourrait être question d’aménagements, où les citoyens seraient gagnants. Non, non, pas question, on ne concède rien. Si Macron ne veut pas, qu’il s’en aille ! On tourne en rond.

Les socialistes ne sont pas non plus exempts d’une bonne dose de mauvaise foi. Michel Barnier n’a pas eu tort de rappeler que, il y a trois mois, Boris Vallaud lui avait dit, avant même qu’il ouvre la bouche pour lui proposer de discuter, que son groupe voterait la censure. Et Olivier Faure n’avait pas daigné se rendre à Matignon à son invitation.

Aujourd’hui, les dirigeants à la rose montrent patte blanche, évoquant un pacte de « non-censure ». Mais ils excluent aussitôt de travailler avec François Bayrou et exigent un « nouveau cap », ce qui ne facilitera guère les rapprochements, même s’ils ont présenté un nombre limité d’exigences. Le tout après avoir voté la censure avec des mots très durs sur l’honneur perdu d’un Premier ministre condamné à tenter de sauver sa peau du côté du RN, le PS ayant baissé le pouce, collé à LFI et préoccupé avant tout par la perspective du futur congrès du parti. Cela ne prédispose pas la droite à tendre la joue gauche…

Les leaders du « socle commun » ne sont pas des saints non plus. Après avoir consciemment saboté l’autorité de Michel Barnier, et maugréé contre les folies de l’hôte de l’Elysée, ils se permettent de faire des cours de morale au monde entier. Laurent Wauquiez se refait une virginité en pilonnant Marine Le Pen, sa future adversaire, espère-t-il, à la présidentielle, et en promettant de ne pas censurer la prochaine équipe, même si son parti n’y participe pas. C’est trop bon de sa part…Quant à Gabriel Attal, il s’est transformé en donneur de conseils aux socio-démocates, – « Affranchissez-vous !» – après leur avoir vivement reproché de mêler leurs voix à celles de l’honni RN, lui -même s’affranchissant de toute loyauté à son créateur décevant de l’Elysée. Le tout avec un sourire désarmant de bon garçon…

Le pompon est détenu par Marine Le Pen qui, après avoir voté une censure dont les termes l’insultaient, minimise ses conséquences d’un air dégagé pour ne pas effrayer le bourgeois. Seuls 56% des sympathisants du RN étaient favorables à ce qu’elle fasse chuter le gouvernement. Ce n’est donc pas sous leur pression, mais bien sous celle des magistrats, quoi qu’elle en dise, qu’elle s’est décidée à baisser le pouce. Sainte-Nitouche, elle fait mine de bien vouloir donner un « nihil obstat » à un nouvel hôte de Matignon RN-compatible. On sait ce que vaut sa parole. Demandez à Michel Barnier…

Cette tragi-comédie va se poursuivre avec la désignation, « dans les prochains jours » nous assure le chef de l’Etat, d’un nouveau premier ministre (nous écrivons bien « un », car il n’est plus question de femmes parmi les impétrants cités). Qui sera d’accord pour quoi et pour quelles raisons, et surtout qui sera responsable en cas d’espoirs déçus ou même d’échec ? On peut déjà parier que chacun se refilera le mistigri. Vive la mascarade !

Sylvie Pierre-Brossolette

Sylvie Pierre-Brossolette

Chroniqueuse