La percée Roussel

par Laurent Joffrin |  publié le 06/08/2023

Le secrétaire national du PCF devient le leader le plus populaire à gauche. Une ascension qui mérite attention et réflexion…

Laurent Joffrin

Fabien Roussel superstar ? Pas tout à fait, mais tout de même… Un sondage réalisé pour les Échos par l’institut Elabe le place pour la première fois en tête des personnalités les plus populaires à gauche. Il recueille 52% d’opinions favorables dans cet électorat (+6), devant François Ruffin, Jean-Luc Mélenchon et François Hollande, tous trois à 49%.

Performance personnelle remarquable, dans la mesure où elle contraste avec la modestie des scores obtenus par le PCF dans les élections nationales. Comme on peut difficilement en déduire que la France est soudain saisie par un tropisme communiste, il faut rechercher ailleurs la raison de cette étonnante cote d’amour, qui s’étend jusqu’aux électeurs de la France insoumise.

Il y a un talent politique indiscutable : bon orateur, bon débateur, Roussel parle simple et clair, manie volontiers l’humour et possède un sens aigu de la phrase qui fait mouche. On invoquera aussi ses prises de distance répétées avec la Nupes, dont il estime qu’elle a fait son temps. Mais on aurait tort de s’arrêter là. Ce qui distingue Roussel de ses concurrents, c’est surtout une culture politique particulière, dont l’audience devrait faire réfléchir toute la gauche. Rappelons-en les traits principaux :

  • Roussel tient un discours avant tout social : relèvement des salaires, redistribution vigoureuse, sécurité sociale professionnelle. Il défend une « gauche du travail » méfiante à l’égard de l’assistanat et soucieuse de réindustrialisation.
  • Il est républicain et universaliste. Il s’est par exemple prononcé sans ambages contre les réunions « non-mixtes » parfois tenues par l’UNEF ; il se distancie du langage codé – et communautariste – utilisé par une certaine gauche décoloniale. Il a organisé en 2022 au siège du PCF un hommage aux collaborateurs de Charlie Hebdo, au cours de laquelle il a défendu le « droit au blasphème ».
  • Il défend une conception réaliste de l’écologie qui se situe à l’opposé des thèses d’une Sandrine Rousseau, non pas tant sur les « barbecues virilistes » que sur un point essentiel : le maintien de l’industrie nucléaire française dans le mix énergétique, nécessaire à ses yeux pour réussir la mutation écologique et relever le défi climatique.
  • Il place la sécurité au rang des priorités, luttant contre l’idée que la gauche serait laxiste sur ces questions, dénonçant une délinquance « qui gangrène l’existence de tant de villes et quartiers populaires », et juge qu’il ne faut pas laisser cette thématique à l’extrême-droite. Il prône l’instauration d’une « police nationale de proximité », le recrutement de 30 000 fonctionnaires de police, une peine de trente ans d’emprisonnement pour l’assassinat de « tout détenteur d’une autorité », ainsi que des peines de prison fermes pour les auteurs de fraudes fiscales importantes.
  • Il tient un discours patriotique, demande le respect des frontières, critique le dogme du libre-échange, sans pour autant demander la sortie hors de l’Union européenne ni, depuis l’invasion russe en Ukraine, le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN.

En un mot, Roussel se place à l’opposé du discours tenu par une grande partie de la gauche et par la majorité des journaux qui la soutiennent. On peut bien sûr contester certaines de ses prises de position, mais on doit aussi remarquer qu’il a surtout le souci de regagner de l’audience au sein des classes populaires. C’est-à-dire de remédier à la principale faiblesse de la gauche en France.

Laurent Joffrin