La porte étroite de Bayrou
Le nouveau Premier ministre a peu de chances de réussir. Mais les partis commencent à comprendre que les règles du jeu de la Cinquième ne sont plus de saison. Il n’est donc pas battu d’avance…
Tel le dinosaure à qui on marche sur la queue et qui met de longues minutes à s’en apercevoir, le temps que la douleur parvienne à son cerveau, la classe politique commence à saisir, au bout de six mois, que le paysage politique a radicalement changé. C’est-à-dire qu’avec un Parlement sans majorité claire, tout gouvernement qui veut durer n’a d’autre solution que le compromis et que toute opposition qui veut influer sur le cours de la politique gouvernementale ne peut se contenter de recourir à la censure : elle aussi doit composer.
Macron voulait un Premier ministre qui continue à coup sûr sa politique : il constate à ses dépens qu’il n’a pas pu le nommer et que François Bayrou s’est imposé contre sa volonté. Une fois en place, le Premier ministre ne dépend plus du président, mais de l’Assemblée, dans un schéma inédit de cohabitation. Macron out…
Le Parti socialiste, quoique fort marri de n’avoir pas pu placer l’un des siens au pouvoir, a compris qu’il ne pouvait censurer d’emblée de nouvel impétrant, à l’inverse de ce qu’il avait fait avec Michel Barnier. Il propose au contraire d’échanger contre une « non-censure » le « non-recours au 49-3 ». Nette évolution, donc, en dépit des fatwas de LFI…
Tombeur de Barnier, le RN laisse Bayrou entrer en piste et annonce qu’il jugera sur pièce, conscient qu’il ne peut pas renverser le gouvernement tous les matins. La droite est elle aussi dans l’expectative, tout comme les centristes, qui s’apprêtent à coopérer avec le Premier ministre, d’autant plus que Bayrou est l’un des siens.
LFI, enfin, voit s’éloigner, pour un temps, la perspective de déclencher une crise de régime qui aboutisse à la démission du président de la République. Pour renverser le gouvernement, les Insoumis ont besoin du double concours du NFP réunifié autour d’eux et du RN saisi de nouveau par un prurit destructeur: une conjonction des astres qui ne reviendra pas tout de suite.
Dès lors, tel le voilier du Vendée Globe qui louvoie entre les icebergs, Bayrou a une chance, mince, fragile, peut-être éphémère, de parvenir à bon port. Premier morceau de banquise à éviter : le budget. S’il sait distiller les concessions sociales, les efforts fiscaux et proposer un étalement des économies, ce qui amadouerait les socialistes et – peut-être – le Rassemblement national, il évitera la censure. Même chose pour la réforme des retraites : s’il admet qu’on peut amender le nouveau dispositif, une partie de la gauche peut jouer le jeu, ce qui lui permettra de franchir le cap.
Il peut ensuite se concentrer sur des projets susceptibles de neutraliser les oppositions, tel un plan de lutte contre le narcotrafic, qui contenterait droite et gauche, une loi sur la fin de vie, qui peut trouver une majorité, ou encore un effort en faveur des services publics, même incomplet, qui découragera les velléités de censure. Peu à peu, une culture du compromis commencerait de se répandre dans la classe politique et – qui sait ? – de satisfaire l’opinion.
Conte de fée, “rom com”, “feel good movie” ? Sans doute. Mais l’autre solution est connue : une nouvelle chute du gouvernement, une nouvelle crise institutionnelle, un burn-out démocratique et, peut-être, une élection présidentielle anticipée où les extrêmes auront la part belle. Veut-on cela ?