La social-démocratie qui résiste
Intéressant débat sur France-Inter : Enrico Letta et François Hollande plaident la cause du réformisme
Cette étrange attirance de certains journalistes pour les prophéties crépusculaires et la « schadenfreude », cette joie mauvaise qu’on éprouve en observant le malheur d’autrui…. Dans leur entretien-débat du matin, Léa Salamé et Nicolas Demorand reçoivent Enrico Letta, ancien président du Conseil italien, et François Hollande, tous deux sociaux-démocrates bon teint.
Question rituelle, comme si la fin de ce courant était déjà prononcée : « la social-démocratie va-t-elle disparaître ? ». Hollande fait benoîtement remarquer que la même social-démocratie gouverne plusieurs pays en Europe, ce qui n’est pas exactement l’indice d’une disparition. C’est un fait qu’elle est au pouvoir en Espagne, au Portugal ou en Allemagne, qui ne sont pas des principautés, et qu’elle est favorite pour remporter les élections britanniques, pays qui a son importance. Il note que c’est la seule force de gouvernement à gauche et que les formations radicales sont partout marginalisées. « Pas au Brésil ! », coupe Léa Salamé. Voici donc Lula, l’ex-syndicaliste élu sur des bases très réformistes, qui gouverne avec le centre-droit, soudain rangé sous la bannière révolutionnaire. Drôle d’argument. La journaliste a mal lu la carte. La gauche radicale gouverne effectivement un grand pays en Amérique latine : le Venezuela, dont elle a fait chuter le PIB de quelque 80% (une paille), décuplé la misère et provoqué l’exode de millions d’habitants…
Les deux représentants de la gauche réformiste se gardent de dorer la pilule : les difficultés sont évidentes, les couches populaires ont largement déserté les rangs de la gauche, souvent pour rallier les nationalistes, les résultats électoraux récents ne sont guère favorables, en Italie bien sûr avec la victoire de Giorgia Meloni, mais aussi en France. Les sociaux-démocrates, dit Enrico Letta, ont tardé à trouver des réponses neuves aux défis récents, les questions identitaires occupent le devant de la scène. Une crise ? Oui. Une disparition ? Non.
D’autant que face à la menace climatique, comme le remarque Hollande, les outils sociaux-démocrates – l’intervention publique dans l’économie pour sortir des énergies fossiles, le souci de justice à travers une redistribution réaffirmée, la mobilisation de la société et non la seule verticalité – sont décisifs pour surmonter l’épreuve. Réflexion qui vaut dans beaucoup de domaines : chacun sait que l’inégalité est trop forte en France, que l’État doit s’engager, que la volonté collective doit prévaloir sur le marché.
Il y a, au fond, un moyen simple de trancher le débat : effectuer un test démocratique grandeur nature lors des prochaines élections européennes. C’est-à-dire constituer autour du Parti socialiste, qui a décidé de concourir sous ses couleurs, une liste ouverte et renouvelée qui englobe toutes les nuances du réformisme, avec un social-démocrate à sa tête. Ce sera une épreuve de vérité ? Précisément. En politique, plutôt que de brouiller les cartes, mieux vaut voir la vérité en face.