La société du spectacle politique
Pour Yoann Taieb, notre journaliste fervent de politique, 2023 restera comme une année sombre où le vacarme a souvent discrédité la nature des combats
Cette année, plus qu’une autre, je me suis demandé comment continuer à croire sérieusement en la chose publique lorsque les élus tombent dans le piège de la grossièreté et de la communication.
Trois exemples :
– L’hyperprésence de nos élus sur les plateaux de télévision. Un matin sur France Inter, BFM et, le soir, dans Touche pas à mon poste ou Quotidien : on a atteint l’overdose. Combien de fois me suis-je levé le matin en me disant : « Oh ! encore lui/elle ? – Encore ce sujet ? » À force de saturer la bande, les élus abîment dramatiquement leur image. La mission d’un homme politique n’est pas d’accepter toutes les invitations des grandes chaines pour venir commenter n’importe quelle actualité, surtout munis seulement d’éléments de langage fournis par des conseillers en communication.
– Un lieu a été le symbole d’une réelle déception. L’Assemblée nationale devenue le lieu où on noue des alliances et on se bat pour… faire tomber le gouvernement. Spectacle désolant lorsque la gauche a sablé le champagne après le vote de la motion de rejet du texte immigration. Il y a déjà eu 145 sanctions distribuées en dix-huit mois : l’Assemblée est devenue un champ de bataille. On se filme, on brandit des pancartes, on chante, on siffle, on fait des photos. Quand on connait l’histoire de nos institutions, qu’il est misérable de regarder cette mise en spectaclede notre scène politique ! Déjà profondément affligé par le manque d’idées des partis, je préfère désormais m’en tenir à rencontrer mon député sur le terrain, « au marché » comme on dit.
– L’usage immodéré des réseaux sociaux, le dernier péché mortel de nos politiques cette année. C’est le terrain ouvert à toutes les outrances, le lieu où les élus privilégient les aspects les plus visibles de leurs fonctions auprès de l’opinion. Et le reste ? La vie de la cité ? À quel moment s’occupe-t-on des tâches, certes plus pénibles, mais essentielles ?
Nos politiques tombent dans le piège de la facilité. Non, les Français n’ont pas besoin de savoir si leur ministre mange des coquilles Saint-Jacques à Noël. Un élu ne devrait pas se contenter de tweeter pour un événement qu’il juge important et penser son devoir accompli. Un ministre serait bien naïf de penser que valoriser une de ses actions via des photos suffirait à expliquer son action et à valoriser l’administration qui se saigne pour lui. Elle rassure, au mieux, ses admirateurs. Allez ! Encore un like !
Les politiques sont en train de se faire dévorer par les médias, même les plus vulgaires. Ils feraient mieux de cultiver leur absence, d’écrire, de penser, de théoriser leurs idées. Ou alors de ne pas se faire élire. Et quand ils revendiquent l’héritage de De Gaulle, ils devraient prendre le temps, dans l’année à venir, de méditer une de ses phrases : « Rien ne rehausse l’autorité mieux que le silence, splendeur des forts et refuge des faibles. »