La statue d’Ernest Renan déchaine les curés
Polémique sur une statue Bernard Tapie au vélodrome de Marseille ? Peu de choses à côté des affrontements du passé
Joseph Ernest Renan, reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1848, auteur d’ouvrages de référence sur la religion telle son « Histoire des origines du christianisme » en sept volumes ou sa « Vie de Jésus », sans compter une vingtaine d’œuvres, a provoqué, en son temps, des débats passionnés. Il avait osé vouloir soumettre la Bible à un examen historique, critique, et voulait considérer l’existence du Christ comme celle d’un simple être humain.
L’Église catholique était restée pétrifiée de rage par cette vision positiviste et scientifique niant le dogme. Le Pape Pie IX avait traité de « blasphémateur européen » cet intellectuel brillantissime archéologue, philologue, intéressé par le monde musulman, professeur d’hébreu au Collège de France, plus tard membre de l’Académie française et qui n’avait jamais renié sa foi. Il meurt en 1892.
Le 13 septembre 1903, Émile Combes , président du Conseil est à Tréguier pour inaugurer la statue du philosophe dans sa ville natale. Un an auparavant le conseil municipal de la cité a voté par 11 voix contre 5 l’érection du monument et décidé de donner le nom de l’illustre penseur à une rue de la ville. Le curé lui a juré qu’« aucune procession n’y passera et que jamais le saint sacrement ne sera porté sur la place où trônera celui qui l’insulte. »
Le ton est donné. Le « petit père Combes » est un « bouffeur de curé » patenté. La cérémonie risque donc d’être chaude. Le ministre de l’Intérieur a dépêché 600 gendarmes , dragons, fantassins pour garantir l’ordre. C’est raté. Le quotidien Ouest Éclair, journal républicain de la Bretagne et de l’Ouest, comme il se définit lui-même consacre deux pages de l’évènement sans cacher ses sympathies ni ignorer l’affrontement.
D’un côté les anticléricaux, délégués des ouvriers du port de Brest, de la Société des Droits de l’Homme, de l’association des Bleus de Bretagne, du cercle républicain de Guingamp, des enseignants. De l’autre des paysans locaux fervents catholiques mobilisés par leurs curés. On s’insulte : « A bas la calotte! » contre « A bas la défroque ! » Combes est conspué. Les sifflets des cléricaux couvrent les hurlements. Un véritable échauffourée s’en suit. Les chevaux des gendarmes se cabrent. Des manifestants sont piétinés. Un lieutenant de dragons, du plat de son sabre, frappe des anticléricaux qui bousculent des femmes.
La pluie torrentielle calme tout le monde. On ne relève aucun blessé. Le 19 mai 1904, l’archevêque de Rennes bénit sur les quais de la ville « un calvaire de réparation. » Au pied de la croix, en breton et en latin, pas en français, on peut lire : « Cet homme est vraiment le fils de Dieu ». Une réponse à Renan. Le 9 décembre 1905, la loi de séparation de l’Église et de l’État est votée instaurant la laïcité. L’Église catholique a perdu.