« La Syndicaliste », si près du cinéma mais si loin du réel

par Jérôme Clément |  publié le 25/04/2023

Politique, le film qui retrace le combat entre une femme seule et des hommes de pouvoir a trouvé son public. L’a-t-il bien informé ?

Jérôme Clément

« La Syndicaliste » est un succès : près de 500 000 entrées, ce qui tient pour une grande part à la performance d’Isabelle Huppert, qui interprète le rôle-titre. Néanmoins, on peut s’interroger sur le message qu’il transmet et sur son enjeu politique.

Le sujet ? Une syndicaliste s’oppose à la direction de l’entreprise Areva, qui nourrit un projet secret destiné à vendre des centrales nucléaires à la Chine et procéder, à cette occasion, à un transfert de technologies en faveur de Pékin.

L’intrigue rejoint une des préoccupations majeures du pays : le sort de la filiale nucléaire française, sur laquelle vient de se pencher une commission parlementaire qui a publié un rapport accablant pour les responsables politiques et administratifs ayant géré cette affaire depuis une quinzaine d’années

Une fiction ? Non : les personnages sont nommément cités, même s’ils sont interprétés par des acteurs. Jusque-là rien d’anormal, c’est souvent le lot des films politiques. Mais ce réalisme appuyé autorise à poser la question : le film retrace-t-il fidèlement les faits ? On en doute, même si le légitime combat de cette femme seule, si courageuse face à ces hommes de pouvoir, est bien exposé.

Remarquons d’abord que la seule thèse présentée est celle d’Anne Lauvergeon, présidente à l’époque des faits. On ressent un certain malaise à ne pas entendre les différents points de vue et comprendre le sujet véritable du conflit entre Areva et EDF, c’est-à-dire entre Anne Lauvergeon et Henri Proglio, à peine aperçu dans le film.

Quant au successeur d’Anne Lauvergeon, Luc Oursel, décédé en 2015, il est présenté comme un personnage faible, colérique et quasiment irresponsable, jetant les chaises à la tête de la syndicaliste en pleine réunion, discutant avec un magistrat devant le château de Versailles pendant la nuit. Inimaginable pour tous ceux qui connaissent un peu le fonctionnement de l’État et des grandes entreprises.

La vérité c’est qu’une lutte sauvage a opposé Areva à EDF, sur fond d’abandon progressif de la filière nucléaire sous la pression politique des écologistes. 

         

Le spectateur se retrouve nécessairement en empathie avec la syndicaliste, dont le fonctionnement très personnel laisse un peu pantois : aucune discussion collégiale au sein de son syndicat, coup de téléphone au président de la République pour demander et obtenir un rendez-vous immédiat… Quant à Arnaud Montebourg, ministre de l’Économie, il fait de la figuration sans non plus nous livrer de véritables explications sur cette affaire majeure, dont les tribulations de la syndicaliste, en fait, ne constituent pas le plus important. D’où le malaise.

     

Le cinéma doit bien sûr traiter des sujets politiques contemporains. Encore, faut-il que le film soit vraisemblable, que le comportement des protagonistes soit fidèlement rendu et que l’on aboutisse à une présentation à peu près complète de la réalité.

Le débat sur la filière nucléaire mériterait mieux que cela. Costa-Gavras autrefois ou Bellochio aujourd’hui avec sa série sur Aldo Moro, nous ont ouvert d’autres horizons

La vérité c’est qu’une lutte sauvage a opposé Areva à EDF, dans un contexte de forte rivalité personnelle entre leurs dirigeants, sur fond d’abandon progressif de la filière nucléaire sous la pression politique des écologistes.

C’est un vrai débat, qui apparaît fort peu dans « La Syndicaliste ». On sait ce qui est advenu dans les années qui suivirent : la faillite d’Areva, quasiment liquidée, l’affaiblissement d’EDF et la déconfiture qu’on connaît aujourd’hui dans le nucléaire. 


Le débat sur la filière nucléaire mériterait mieux que cela. Costa-Gavras autrefois ou Bellochio aujourd’hui avec sa série sur Aldo Moro, nous ont ouvert des horizons plus intéressants avec des films passionnants.

Oui, les cinéastes doivent traiter des grands débats de notre démocratie. Sans doute n’est-ce pas le sujet principal du film ? Il est néanmoins dommage de l’aborder par la bande et de laisser le spectateur, au bout du compte, mal informé. Une occasion ratée.

INFO

« La Syndicaliste » film (D.R)

« La Syndicaliste » est un film franco-allemand réalisé par Jean-Paul Salomé, sorti en 2022. Il s’agit de l’adaptation du livre-enquête, du même titre, publié par Caroline Michel-Aguirre, cheffe du service investigation à L’Obs, consacré à Maureen Kearney, une syndicaliste d’Areva qui a dénoncé les manœuvres politico-économiques autour de la filière nucléaire française et des intérêts chinois. Cette lanceuse d’alerte est soumise aux intimidations. L’affaire Areva devient l’affaire Maureen Kearney à la suite du viol avec actes de barbarie subi par la syndicaliste en décembre 2012.

Le film a été présenté en compétition dans la section « Orizzonti » à la Mostra de Venise 20223.

Jérôme Clément

Editorialiste culture