La terre, le grand-père et les nazis
Le rapport charnel à la terre des paysans, la difficulté d’exister face au passé…un roman fort et dur, de Reinhard Kaiser-Mühlecker
« Jakob n’ignorait pas, après tout, que le regard que la société portait sur les paysans n’était guère bienveillant, et qu’on ne voulait rien avoir à faire avec eux ».
Reinhard Kaiser-Mühlecker est issu de ce monde, né d’une famille paysanne de Haute-Autriche. Après les très beaux Lilas rouge et Lilas noir, il nous revient avec un livre de glaise, de labeurs répétés, de mal à vivre, de silences trop lourds à porter.
Jakob a vite quitté l’école pour reprendre une exploitation agricole que son père a peu à peu démembrée, par incurie et par trop de rêves irréalistes. Il vit avec ce père souvent absent et fantasque, une mère silencieuse et une aïeule recluse et négligée dans son fauteuil à oreillettes. Régulièrement, il tourne le barillet d’un revolver posé sur sa tempe, tire : toujours épargné par un destin pourtant trop contraire, il reprend son labeur sans issue.
Sa rencontre avec Katja, jeune artiste à la dérive, va inverser le cours de sa vie, lui donnant sens et énergie : ceux que tout semble éloigner trouvent chacun en l’autre un appui et une force qui transforme la ferme jusqu’à en faire l’exploitation modèle de l’année, avec célébrations et honneurs très inattendus.
Réussite éclatante, mais bonheur fragile, rongé par l’impossibilité de dire les choses, les sentiments, l’amour, comme par la jalousie des autres et le ressentiment des proches. Et menacé par une violence latente, trop contenue, aux rares et cruelles explosions. Jakob vit sous la malédiction du péché originel, celui du grand-père qui a fait sa fortune de « l’argent des Juifs », dont on ne saura pas plus. On est en Autriche, le passé affleure sous les mottes de terre rejetées par le soc de la charrue, on s’en débrouille comme on peut, mal.
Le roman est fort, dur, il nous parle du rapport charnel à la terre des paysans, des saisons, de l’interminable labeur. Il nous parle aussi des élans incompris, des silences du couple, de la difficulté d’exister.
Une chose reste : on aime Jakob, ses rêves, sa gaucherie affective et son amour sans limites pour Katja, qu’il ne peut nommer que quand elle s’en va.
« Braconnages » (Wilderer), de Reinhard Kaiser-Mühlecker, traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay, Gallimard, « Du monde entier », 362 p., 23,90 €, numérique 17 €.