« La Tondue de Chartres » : une collabo sacrée… icône féministe
Buzz de la rentrée littéraire, applaudi par les lecteurs et les critiques, salué par un prix à Nancy, objet d’un futur film… le roman de Julie Héraclès est l’exact contraire de la vérité historique dont elle s’inspire en 1944. Malaise
De quoi s’agit-il ? D’un premier roman, « Vous ne connaissez rien de moi », écrit à la première personne du singulier par une autrice, Julie Héraclès, originaire de Chartres, qui s’est glissée dans la peau d’une femme ayant vraiment existé, et dont la photographie originelle figure en bandeau sur son livre : Simone Touseau. Aucun doute, donc, sur la source d’inspiration : une histoire vraie.
Qui est cette femme ? Immortalisée à Chartres le 16 août 1944 par le célèbre photojournaliste Robert Capa, son bébé dans les bras, une croix gammée marquée au fer rouge sur le front, exhibée devant une foule hostile, elle est devenue la figure iconique des femmes tondues à la Libération. Une des quelque 20 000 Françaises au minimum humiliées en tout premier lieu pour leur collaboration « horizontale », entendez sexuelle, avec l’occupant. Concernant Simone Touseau, aucun doute possible, son bébé est bien l’enfant de sa liaison avec un Allemand, mort entre temps sur le front de l’Est.
Cela va sans dire, la catharsis collective autour des femmes tondues a été l’une des fautes graves de la Libération. Toutefois, ces femmes, pour être victimes expiatoires de la furie populaire soucieuse de laver sur la tête de quelques-unes les crimes de tant d’autres, n’en font pas pour autant des figures martyres et innocentes. Simone Touseau la première.
Élevée par une mère anti-dreyfusarde, elle était pro-nazie convaincue, travaillant pour la Feldkommandantur, adhérente du Parti populaire français de Jacques Doriot – son histoire a été établie par les recherches et le livre d’un professeur d’histoire Gérard Leray (« La Tondue 1944-1947 »).
Et là, le débat s’impose. Dans « Vous ne connaissez rien de moi », la femme tondue, double romanesque de son modèle, s’appelle Simone Grivis. Julie Héraclès se glisse dans sa peau et écrit à la première personne du singulier, non sans talent du reste, ce qui aggrave le trouble. S’abritant derrière la mention « roman », elle est ou pas Simone Touseau selon que cela arrange Julie Héraclès. Le personnage en a l’âge, l’origine, les parents, la géographie, le goût précoce des idées de l’occupant, les conditions de l’arrestation.
Soudain la voilà une autre, affublée d’une amie d’enfance… juive, Colette, bonne élève en allemand et essentiellement désireuse d’être interprète à la Kommandantur. Pourquoi ? Mais par souci d’autonomie financière, innocente de toute dénonciation. Sans même parler de leurs conséquences : « Je sais ce que j’ai fait, je peux me regarder dans un miroir, et si c’était à refaire, je n’aurais aucune hésitation ». Dotée d’un tempérament de grande amoureuse – on verse souvent dans la mièvrerie- elle justifie sa vie : « Vous ne me détruirez pas… J’ai aimé et j’ai été aimée ».
In fine, la collabo, victime de viols répétés de la part d’un des militants FFI, présent dans le camp des vainqueurs à la Libération et réduit au rôle de soudard, devient… une féministe admirable.
Entendons-nous, il ne s’agit pas de refuser la complexité possible d’un personnage, mais d’une responsabilité. Pourquoi brouiller les pistes ? Que Julie Héraclès n’a-t-elle pas pris soin d’inventer une femme imaginaire, de sorte de ne pas brouiller la vérité historique ?
La quatrième de couverture du livre présente sans ambiguïté le projet du livre : « … dans un roman bouleversant qui s’inspire de ce cliché (la photo de Capa), Julie Héraclès retrace la vie de cette femme libre, Simone, au tempérament incandescent ». On comprend la colère d’Arnaud Hée, petit-fils d’un résistant chartrais, déporté et dénoncé selon lui en 1943 par Simone Touseau, et les réactions d’historiens comme Denis Peschanski, dénonçant le procédé d’une simple réécriture de l’Histoire. Il est proprement inquiétant de relire la légèreté des premières réactions enthousiastes.
Le roman a-t-il tous les droits ? Il n’a pas tous les pouvoirs. Inspirée de Simone Touseau, collaboratrice avérée, Simone Grivise ne peut être transformée en son contraire.
L’écrivain, pas plus que quiconque, n’est exempt de devoirs au regard de l’Histoire et de sa transmission. S’appuyer sur des faits pour les détourner à sa guise, pire pour les contredire par l’imaginaire en se contentant d’écrire « roman » sur la couverture, c’est prendre le risque de créer une catégorie nouvelle : celle du révisionnisme littéraire.