La violence à l’hôpital : pas si simple…

publié le 24/05/2023

Un crime à l’hôpital horrifie. Mais la violence à l’hôpital prend plusieurs visages. Violence symptôme, sociétale, institutionnelle. Pourtant, les solutions existent.

FREDERIC ADNET

Crime à l’hôpital : un horrible contraste

Un crime affreux — l’assassinat d’une infirmière par un déséquilibré — nous rappelle que l’hôpital n’est pas le sanctuaire qu’une image d’Épinal pourrait nous suggérer. Le lieu où l’on fait le « bien » peut se retrouver devenir le même lieu où le « mal », le crime le plus « injuste » survient. Ce « bien » et ce « mal » qui se juxtaposent dans le même espace-temps frappe les esprits au même titre que l’assassinat d’un prêtre dans un lieu saint ou d’un secouriste lors d’une mission de sauvetage.

La violence comme symptôme d’une maladie

Et pourtant… la gestion de la violence fait partie intégrante de l’art médical. Il faut en effet comprendre que le passage à l’acte, l’attitude agressive d’un patient peut résulter ou révéler des pathologies psychiatriques, mais aussi d’intoxications des produits illicites, mais aussi refléter des désordres métaboliques d’une maladie organique.

J’ai moi-même reçu un bon direct du droit d’un patient diabétique en crise d’hypoglycémie qui, dès le resucrage effectué, s’est révélé être… le plus charmant des hommes. Il faut donc comprendre que le métier d’urgentiste et le personnel soignant d’un service des urgences sont, par nature, confrontés à cette forme d’urgence. `

Cette violence devient incontrôlable et incontrôlée lorsqu’il existe un défaut de formation, un manque de personnel compétent ou lorsque les patients psychiatriques potentiellement dangereux stagnent dans le service par manque de solution d’hospitalisation dans des services spécialisés avec des chambres d’isolement.

Les dérapages de cette violence “médicale” sont souvent la résultante de ces dysfonctionnements. Il pose le problème de l’investissement de l’institution dans la formation des personnels, la fluidité des flux de patients psychiatriques et la disponibilité des lits dans les services spécialisés.

La violence comme indicateur sociétal

Les services d’urgences sont souvent perçus comme le reflet grossi des évolutions de la société. Cette violence se caractérise par des incivilités, des agressions verbales et quelquefois physiques. Elle peut se déclencher pour une simple impatience, une réponse médicale perçue comme inadaptée ou par des proches mécontents de l’accueil.

Ce phénomène est de plus en plus fréquent. Les enquêtes de l’ordre des médecins nous informent que les agressions déclarées des médecins généralistes ont fortement augmenté ces dernières années : 1244 déclarations , plus 23 % en 2022.

Nous parlons bien d’agressions “déclarées” et donc forcément sous-estimées. La réalité est plus dure encore.

Cette violence reflète probablement une désacralisation de la profession de médecin. En clair, pour le public, le service médical est perçu comme un banal bien de consommation. Il est plus facile — en théorie — de lutter contre cette violence, car elle enfreint la loi et expose le patient et tous ses proches à des sanctions pénales.

Les moyens techniques existent. Aux urgences, des affiches avertissent le public dans les urgences et détaillent le risque pénal. L’utilisation de vigiles, de portes sécurisées, de caméras et d’interrupteurs d’alerte permettant de mieux prévenir ces dérives.

Il existe aussi une formation pour les soignants pour apprendre à désamorcer — à l’aide d’un langage verbal et corporel — des situations qui dérapent. Ces formations peuvent comprendre des techniques d’évitement physique emprunté aux arts martiaux.

Tout cela existe, mais n’est pas assez répandu dans les services.

L’accompagnement par l’institution des personnels agressés au commissariat pour le dépôt de plainte est aussi une piste assez bien exploitée.  Nous pourrions peut-être nous inspirer du modèle américain ou les forces de l’ordre sont, physiquement, présentes à l’entrée des services d’urgence.

La violence institutionnelle de l’hôpital

Comment passer sous silence une certaine maltraitance… institutionnelle dans les services d’urgence et hospitaliers de patients liée à la pénurie de personnels ? Nous vivons une époque où les soignants désertent l’hôpital avec des conséquences directes sur la qualité des soins et, en premier lieu, les soins de confort. Ceci se traduit par un manque de soins de base comme fournir un repas ou simplement de l’eau, assurer une hygiène de base, une intimité ou avoir le temps de rassurer un patient par quelques mots.

Ces actes bienveillants, de base, deviennent quasiment impossibles avec un personnel épuisé, en sous-effectif chronique dans des locaux inadaptés à cette crise qui s‘annonce longue. Ce “défaut de bienveillance” provoque une certaine agressivité en miroir des patients et de proches. Peut-on encore parler d’incivilité ? Cela suffit, pour des patients en détresse et souvent socialement déshérités, à faire déraper la situation vers une véritable agression.

La solution à la violence est plurielle

La violence à l’hôpital n’est pas un problème simple. Sa gestion doit faire appel à un investissement qui ne se limite pas à des moyens financiers et humains.

La solution — globale — passe par la formation, une réflexion qui allie le déploiement de systèmes techniques préventifs et l’acquisition, par les personnels — d’une véritable expertise dans sa gestion de la violence à l’hôpital au quotidien.

Frédéric Adnet est directeur médical du SAMU de la Seine-Saint-Denis et responsable du service des Urgences du CHU Avicenne à Bobigny.