L’abaya interdite ? C’est la loi…

par Laurent Joffrin |  publié le 28/08/2023

La prohibition des longues robes islamiques dans les salles de classe découle logiquement de la loi laïque. Elle n’a rien « d’islamophobe »

Laurent Joffrin

Gabriel Attal, nouveau ministre de l’Éducation nationale, veut interdire l’abaya à l’école de la République. Comme on s’est déjà prononcé dans cette lettre contre le port dans les salles de classe de cette robe ample qui couvre le corps, les bras et souvent la tête, que peut-on en dire, sinon que le ministre a raison ? La justification de cette interdiction s’énonce selon un syllogisme irréfutable : la loi du 15 mars 2004 prohibe les signes religieux ostensibles à l’école ; l’abaya est un signe religieux ostensible ; elle est donc interdite. Comme le sont la kippa, les grandes croix, les turbans ou le voile islamique.

Aussitôt, les opposants à cette mesure feront valoir que l’abaya n’est pas – ou pas forcément – un vêtement religieux, mais plutôt une robe « traditionnelle », portée depuis longtemps dans les pays du Golfe. L’ennui, c’est que cette tradition est d’origine religieuse. Elle n’est pas écrite noir sur blanc dans le Coran, mais elle découle de l’injonction de « modestie » faite aux femmes (et parfois aux hommes) par une prescription religieuse. On constate d’ailleurs que sur les sites qui vendent des abayas, (et qui proposent aussi des hijabs, des kamis ou des burkinis), il est très souvent fait mention de cette « modestie » conseillée aux femmes par les docteurs de la foi.

Détail distrayant : ces opposants se contredisent l’instant d’après, en affirmant que l’interdiction est une mesure « islamophobe », dirigée contre les musulmanes. Ce qui revient, ipso facto, à admettre que l’abaya est bien un vêtement musulman. Et comme il couvre tout le corps, il est – par définition – un signe ostensible… Ces opposants oublient aussi que le port de ces vêtements est souvent instrumentalisé par des groupes rigoristes, proches des Frères musulmans, qui cherchent à renforcer la visibilité de l’islam en France en faisant reculer les lois laïques, ce qu’on ne peut admettre.

D’autres commentateurs critiquent le flou qui entoure encore, selon eux, la décision de Gabriel Attal. En effet, les modalités précises de la mise en œuvre de l’interdiction n’ont pas encore été publiées. Or leur rédaction est forcément délicate : l’éducation nationale souhaite parvenir à ses fins sans conflit excessif avec ces jeunes femmes, en pratiquant le dialogue avant de prononcer une quelconque sanction.

Contradiction ? Indécision ? Non : il en va ainsi des règles laïques depuis l’origine. Les promoteurs de la loi de 1905, qui sépare l’État des religions, le socialiste indépendant Aristide Briand et le socialiste Jean Jaurès, ont toujours cherché l’apaisement et le dialogue, alors même qu’à l’époque, l’Église catholique, principale intéressée, campait sur une position intransigeante. Les modalités d’application ont donc été négociées à chaque stade dans un esprit de compromis, qu’il s’agisse de la mise à disposition des lieux de culte, de la règlementation des processions ou des sonneries de cloches. On a écarté toute prohibition des vêtements religieux dans l’espace public, ou encore admis qu’il pouvait y avoir des aumôneries dans les lycées, les prisons ou les casernes, c’est-à-dire des locaux religieux dans l’enceinte de bâtiments publics (il ont disparu des écoles bien plus tard).

Contrairement à ce qu’on croit parfois, la laïcité garantit avec fermeté la neutralité de l’État mais elle ne vise pas la laïcisation de la société, encore moins la disparition des pratiques religieuses. Elle assure la liberté des cultes, qui ont le droit d’apparaître dans l’espace commun (sauf atteinte à l’ordre public). L’islam comme les autres. La laïcité n’est pas un instrument d’intolérance tourné contre telle ou telle religion, mais au contraire, comme le dit sans ambages l’article 1 de la loi de 1905, un régime de liberté de conscience et de culte.

L’interdiction du voile ou de l’abaya sont des exceptions au principe général de liberté, destinées à prévenir le prosélytisme à l’école. Il est normal qu’elle fasse l’objet d’une application intelligente, dès lors que le principe général est clairement exprimé, de manière à donner un point d’appui solide aux professeurs. Ce qui montrera bien que la nouvelle mesure n’est pas « islamophobe », mais qu’elle découle d’une règle claire et globale, qui s’applique à toutes les religions.

Laurent Joffrin