L’Afrique va-t-elle enfin s’occuper de son éducation ?

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 09/03/2024

À l’âge de 10 ans, 9 enfants scolarisés sur 10 ne savent ni lire ni comprendre un texte simple. L’« Année de l’Éducation »  tire la sonnette d’alarme!

Le 37e Sommet de l’Union Africaine, à Addis-Abeba, tenu les 17 et 18 février 2024, a aussi été l’occasion de lancer en grande pompe « L’Année Africaine de l’Éducation ». Il était temps. Car les insuffisances des systèmes éducatifs africains sont aujourd’hui telles que l’alerte doit être donnée.

Jusqu’en 2020, les données pouvaient donner le sentiment que l’Afrique progressait lentement, mais régulièrement. Ainsi pour l’Afrique subsaharienne, le taux de population non scolarisée était tombé de 44 % en 2000 à 29 % en 2020, et le taux d’alphabétisation était passé de 66 % à 77,5 % pour les jeunes, et de 52,6 % à 64,3 % pour les adultes. Mais depuis 2020 tant de crises ont secoué l’Afrique, qu’en 2023, le tableau s’est assombri. Pour l’Afrique seule, près de 100 millions d’enfants en âge d’être scolarisés ne vont pas à l’école.

À l’âge de 10 ans, 9 enfants scolarisés sur 10 ne savent ni lire ni comprendre un texte simple.

Sur les 25 pays bénéficiant du Programme Mondial pour l’Éducation dont le taux d’accès à l’école primaire est inférieur à 80 %, 20 appartiennent à l’Afrique subsaharienne. Parmi eux, cinq pays ne dépassent pas les 40 %, le Soudan du Sud, le Niger, l’Érythrée, le Mali, la Somalie. Mais d’autres pays de l’Afrique francophone n’échappent guère mieux à ce drame cognitif. Le Soudan, le Burkina Faso, la Guinée, le Cameroun et même le Sénégal peinent à franchir la barre d’un taux de 75 %.

Quant au taux d’achèvement du parcours, il se situe entre 40 et 60 %. Un taux d’abandon considérable, aux multiples causes, dont la guerre, la maladie, la famine, la nécessité du travail, le genre. Il n’épargne pas non plus les pays ayant pourtant un meilleur taux d’accès.  C’est le cas notamment de la Guinée-Bissau, du Bénin, du Mozambique, du Burundi, de Madagascar, de la RDC.

Néanmoins, lorsque l’on croise la scolarité des enfants avec le niveau de richesse de leurs familles, cette dernière apparait comme un facteur fortement déterminant dans l’achèvement du parcours scolaire des enfants. Avec des écarts considérables, de l’ordre du double ou du triple. Quant au genre, plus les pays sont pauvres, moins les filles sont scolarisées. Mais quand elles le sont, elles vont en général plus loin dans le parcours que les garçons.

Mais la barre de l’ambition affichée par l’UA est haute : d’ici 2025, réduire de moitié le taux de non-scolarisation dans le primaire, s’approcher des 50 % d’élèves sachant lire correctement à la fin de l’école primaire, s’assurer que près de 80 % des enseignants du pré-primaire et 85 % du primaire aient été formés. Le défi est considérable pour une seule année et interroge sérieusement la capacité de l’UA et de ses membres à le relever, hormis les quelques pays suffisamment avancés pour y parvenir.

Car seule une minorité de pays africains respecte les critères internationaux retenus pour le financement de l’éducation, à savoir au moins 4 % du PIB et 15 % du budget de l’État. Ainsi en 2022, en Afrique subsaharienne, 29 pays sur 49 n’atteignaient pas les 4 % de leur PIB pour l’éducation, la plupart des bons élèves (>6 %) se situant en Afrique australe.

S’il y avait donc un mot d’ordre prioritaire dans cette Année de l’Éducation, il viserait à convaincre les États de la nécessité de compter d’abord sur leurs propres forces en matière d’éducation, et de ne compter sur l’aide extérieure qu’à la marge ou éventuellement pour des expériences originales. Les politiques éducatives ne doivent plus être considérées comme des variables d’ajustement, mais bien comme des politiques structurelles.

Jean-Paul de Gaudemar

Chronique Société - Education- Afrique