Lagardère, le fils indigne

par Laurent Joffrin |  publié le 01/05/2024

Héritier désinvolte et déconcertant, bradeur d’empire désormais accusé de délits financiers, Arnaud Lagardère donne une image peu reluisante du capitalisme contemporain.

Laurent Joffrin

Les groupes familiaux, disent certaines études, sont plutôt bien gérés. Les filles ou fils de fondateurs, biberonnés au capitalisme par leurs parents, cornaqués par des managers compétents triés sur le volet, ont à cœur d’assurer la pérennité du patrimoine familial et bénéficient des conseils avisés de leurs ascendants, ce qui leur permet d’assumer leur tâche avec une certaine réussite.

À cette règle, il y a des exceptions. Et parmi celles-ci, la plus spectaculaire est celle d’Arnaud Lagardère, héritier d’un empire bâti par son père Jean-Luc, industriel brillant et inspiré. Affable, séduisant, mais contesté en matière de management, Arnaud Lagardère n’a cessé de déconcerter ses collaborateurs, ses actionnaires et ses salariés par ses frasques sentimentales, qui ont fini par entraîner sa chute. Il vient d’être mis en examen pour « abus de bien social » et divers autres délits, ce qui l’a contraint à démissionner de ses fonctions pour répondre devant la justice de ses désinvoltes procédés.

Train de vie

En clair, les juges lui reprochent d’avoir puisé illégalement dans les caisses de ses sociétés pour financer son train de vie munificent. Affaire romanesque et ridicule à la fois : Arnaud Lagardère, industriel richissime, s’est entiché d’une jeune mannequin belge, Jade Foret, avec laquelle il a filé un amour manifestement sincère, mais aussi fort onéreux, officialisé il y a quelques lustres, par une vidéo kitschissime qui a fait la risée de toute la place.

Arnaud Lagardère, semble-t-il, se défend en expliquant que les quelque 80 millions d’euros de dépenses personnelles financées par ses sociétés – réfection de demeures luxueuses, voyages en jet privé, dépenses somptuaires, etc. – sont passés d’une poche à une autre, toutes deux lui appartenant. Mais selon les juges du parquet financier, ces opérations sont néanmoins délictueuses : l’abus de bien social, qui consiste à user des fonds d’une société pour un but étranger à son objet, lèse toutes les parties prenantes, créanciers, État ou salariés. Il permet aussi, en imputant des dépenses personnelles sur les entreprises que l’on possède, d’échapper à l’impôt qui, sans cela, aurait été prélevé sur les revenus du mis en cause. Toutes choses qui sont prohibées par le droit des sociétés et sévèrement punis.

D’échec en échec, le groupe Lagardère a maintenant disparu de facto, tombé dans l’escarcelle du prédateur surpuissant Vincent Bolloré. Arnaud Lagardère, qui bénéficie comme tout un chacun de la présomption d’innocence, doit maintenant s’expliquer devant la justice. L’affaire promet de durer, sans qu’on puisse en connaître aujourd’hui le dénouement. Mais celui qui s’est seulement donné « la peine de naître », selon le mot de Beaumarchais, révèle du capitalisme une bien piètre facette.

Laurent Joffrin