L’Allemagne, nid d’espions

par Pierre Feydel |  publié le 09/03/2024

L’affaire des écoutes des hauts gradés de la Luftwaffe n’est qu’un épisode de la guerre du renseignement qui sévit outre-Rhin depuis près de 80 ans

Vendredi 1er avril, la Russie publiait une conversation téléphonique entre des généraux de l’armée de l’Air allemande à propos de la possibilité d’emploi de missiles Taurus en Ukraine et de la présence de militaires alliés sur le sol de ce pays. Cette conversation était une écoute des services de renseignement russe. Consternation et fureur en Allemagne et parmi les alliés de l’OTAN ! Sont mis en cause la légèreté d’officiers généraux de la Luftwaffe qui tiennent des conversations confidentielles sur des lignes non cryptées.

Est aussi dénoncé le mensonge du chancelier Scholtz affirmant que les missiles Taurus ne peuvent être livrés à Kiev, car ils nécessitent, pour être utilisés, la présence de techniciens allemands en Ukraine. Ce que dément l’échange piraté. La coalition qui gouverne à Berlin vacille. Le chancelier refuse mordicus de livrer ces armes à Kiev. La presse se déchaîne. À Moscou, on jubile.

 En matière d’affaires d’espionnage, de manipulations, de trahison, de chantage, l’Allemagne avant d’être réunifiée en a vu d’autres. Pendant la guerre froide, cette nation ,parce qu’elle était coupée en deux, a favorisé les opérations de renseignement de part et d’autre du rideau de fer. Avec à l’Est, un maitre-espion, Marcus Wolf, colonel général de Stasi et patron du Hauptverwaltung Aufklârung (HVA), le service de renseignement extérieur de la République démocratique allemande toute dévouée à Moscou. Cette légende du monde l’espionnage va faire de l’Allemagne fédérale son terrain de jeu favori.

Son coup le plus spectaculaire est révélé le 24 avril 1974, lorsque Gunther Guillaume, le conseiller le plus proche du chancelier de l’époque, le social-démocrate Willy Brandt est arrêté avec sa femme. Guillaume est entré en RFA en 1956. En 1957, il adhère au Parti social-démocrate (SPD). Il se distingue par ses qualités d’organisateur. Lorsqu’il postule pour la chancellerie, le conseiller à la sécurité interroge les agences concernées : Le centre d’accueil des fugitifs, le BND, le service de renseignement, le BKA , la police criminelle chargée de la sécurité du gouvernement et le BfV, l’Office fédéral de protection de la constitution, chargé de la surveillance des organisations subversives.

 Le le service de renseignement BKA découvre que Guillaume a travaillé à l’Est pour une maison d’édition « Volk und Wissen » . Or celle-ci est un centre de formation à l’espionnage. Au BND on vérifie la fiche Guillaume, mais on ne vérifie pas la fiche de la maison d’édition parce que le BKA n’a pas signalé le lien au BND. Négligences, embrouillaminis bureaucratiques, guerre des services, font que, malgré les soupçons, rien d’évident n’apparait aux services de sécurité.

On surveille Guillaume et sa femme de loin. Jusqu’en mars 1973 ou un inspecteur du BfV découvre de messages codés venus de l’Est qui souhaitent bon anniversaire à un certain Georg, né le même jour que Guillaume. Guillaume est laissé en liberté puis arrêté un an plus tard. Il avoue sa qualité d’officier de la Stasi. Jugé, incarcéré, il sera échangé en 1981.

Le scandale est tel que Willy Brandt doit démissionner. Le promoteur de l’Ostpolitik prônait un rapprochement avec les pays du bloc soviétique. Et ce sont les agents de ce même bloc qui causent sa perte. Une leçon du passé qu’Otto Scholz devrait méditer.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire