L’appel de la forêt

par Thierry Gandillot |  publié le 05/07/2024

Ruez-vous sur cette épopée finlandaise, homérique et féministe ! Un peu de frais à la plage

D.R

Elles sont sept, mal élevées, mal lavées, mal polies, paillardes, hirsutes, grossières. Ce sont les filles du chasseur d’ours. Dans cette région sauvage de Finlande, elles sont célèbres, admirées autant que craintes. À la foire où elles se rendent deux fois par an, ces rousses flamboyantes à la musculature spectaculaire font le show, pètent, rotent, provoquent les hommes, montrent leurs seins, mais ne couchent pas. Enfin, généralement. Mais comme elles marchent à la vodka et à la bière noire faite maison, alors parfois, leurs sens prennent le dessus et les hommes en profitent. En matière de sexe, elles n’y connaissent rien.

  Leur père, légendaire chasseur d’ours de la région, les avait mis en garde en leur léguant, avant de mourir, deux principes de vie : se tenir loin des hommes et loin des services sociaux. Il n’était pas souvent à la maison, toujours à courir les bois pour rapporter des peaux et de la viande qu’il allait chercher très loin. C’est la mère qui tenait la maison. Violente, dure à la tâche, craignant Dieu, cette Folcoche finlandaise avait la main lourde. Les filles dérouillaient à la moindre occasion. Elles avaient l’habitude, lèchent leurs plaies dans un coin, sans se plaindre, comme un animal blessé.

Mais voilà, quand les parents meurent, les sept filles se retrouvent livrées à elles-mêmes. Au début, ces filles de feu s’organisent tant bien que mal, mangent des baies et des champignons, pêchent l’omble dans les étangs noirs où, l’été, elles se baignent nues, chassent l’écureuil, le lapin, le chevreuil dans le meilleur des cas. Mangent la viande tout d’un coup à s’en rendre malades, vendent les peaux. Mais un hiver, plus rude que les autres, c’est la disette.

Le gibier se terre, les étangs gèlent, les réserves et les provisions d’alcool ont fondu. Le froid prend ses quartiers dans la maison qui s’effondre par petits bouts. Les peaux des ours tués par le Père ne suffisent plus à les réchauffer, la catastrophe n’est pas loin.

 Le jour où les trois sœurs envoyées à la foire qui se tient à des jours de marche claquent tout l’argent des peaux en ripailles, c’est le désastre. Au lieu des cartouches, de l’essence pour le quad, des engrais et des outils qu’elles doivent rapporter, elles rentrent les mains vides ; et pour l’une d’entre elles, on le découvrira plus tard, avec un passager clandestin dans le ventre. Ce n’est pas la violente correction que leur inflige leur sœur aînée qui remplira les estomacs.

 Les services sociaux tentent de les sauver de la misère, de la maladie et d’une mort quasi certaine, en les faisant revenir en ville, mais elles prennent la tangente et s’enfoncent loin dans la forêt, sur les territoires de chasse du Père. Et où il leur aurait laissé, sinon un trésor, au moins de quoi survivre en traquant les ours. Les aventures des sept sœurs ne font que commencer alors que la violence et la folie rôdent dans les sous-bois. Ruez-vous sur cette épopée homérique et féministe dans un septentrion finlandais où les contes et légendes hantent les esprits. Un livre immense à caler dans la valise entre les serviettes de plage et les tongs.

Les filles du chasseur d’ours. d’Anneli Jordhal, Traduit du suédois par Anna Gibson, Les Éditions de l’Observatoire , 444 pages, 23 euros

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture