L’art de la Joie

par Thierry Gandillot |  publié le 31/05/2024

De Goliarda Sapienza. Histoire d’un roman maudit devenu best-seller mondial.

D.R

En ce mois de mai 2024, on célèbre les 100 ans de la naissance de Goliarda Sapienza, romancière sicilienne dont le chef d’œuvre, L’Art de la joie, a bien failli ne jamais paraître. Histoire d’un roman maudit aujourd’hui reconnu dans le monde entier grâce à son éditrice française, Viviane Hamy.

Il est des romans miraculés. L’art de la joie est l’un d’eux. Quand, en 1967, Goliarda Sapienza se met à l’écriture de cet immense ouvrage qui dévorera dix ans de sa vie, elle a dépassé quarante ans. Ce n’est pas une inconnue, loin de là. Elle a joué au théâtre (Pirandello, sicilien comme elle) et au cinéma où elle a travaillé pour Luchino Visconti, ses deux premiers livres, s’ils n’ont pas rencontré de succès en librairie, ont été salués par la critique, et aussi des écrivains de renom comme Alberto Moravia.

Avec L’art de la Joie, Goliarda change de dimension : plus de six cents pages, foisonnantes, violentes, qui embrassent plus d’un demi-siècle de l’histoire de l’Italie. Le 21 octobre 1976, dans sa maison de Gaeta, au nord de Naples, Goliarda met le point final à l’œuvre de sa vie. Avec son second mari, Angelo Pellegrino, elle s’emploie alors à corriger et, surtout, resserrer le texte, amputé d’un gros tiers. 

Mais, voilà : à son grand désarroi, et sa grande surprise, le roman est refusé par toutes les grandes maisons d’édition – Einaudi, Rizzoli … -, parfois sans explications – ou très confuses, ou contradictoires -, parfois sans avoir même été lu. Goliarda, soulève des montagnes pour faire reconnaître cette œuvre qui semble terroriser les éditeurs. En désespoir de cause, elle en appelle même au président de la République italienne Sandro Pertini, un ami de sa mère, passionaria socialiste et légende des combats anti-fascistes.

 En vain. Il est vrai que son contenu explicitement sexuel qui explore sans tabou le désir et la jouissance féminine, peut dérouter. À quoi s’ajoute l’aspect que l’on pourra juger amoral de l’ascension de son héroïne, Modesta. Misérable petite paysanne des pentes de l’Etna, violée dans son enfance par son géniteur, Modesta deviendra princesse grâce à une série de meurtres si bien exécutés qu’elle ne sera jamais soupçonnée, 

La romancière, dépitée par ses échecs joue avec le feu et dérobe les bijoux d’une amie fortunée, ce qui lui vaudra un bref passage en prison. À cette époque, elle perd pied et commet deux tentatives de suicide.

C’est un an après la mort de Goliarda Sapienza, en 1998, qu’un petit éditeur publie le roman ; il ne rencontre aucun succès. Jusqu’à ce qu’en 2005, Viviane Hamy, une courageuse éditrice française, emballée par ce texte, prenne le risque de le publier. Immense succès en France. Par un effet de boomerang, l’Italie redécouvre ce roman qu’elle avait ignoré. È bella la vita, no ?

À lire : Vies, morts et renaissances de Goliarda Sapienza de Nathalie Castagné au Seuil. Tous les livres (ou presque) sont publiés aux éditions du Tripode.

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture