Laurent Fabius : dernier acte
Le Président des Sages doit trancher cette semaine sur la constitutionnalité de certains articles de la loi sur l’immigration votée mi-décembre à l’Assemblée nationale. Portrait
En juillet 1984, il a 37 ans quand François Mitterrand le nomme le plus jeune Premier ministre de France pour entériner le tournant de la rigueur. Quarante ans plus tard, à 77 ans, il va porter ce 25 janvier le très attendu verdict du Conseil Constitutionnel sur la loi sur l’immigration. À un an de la fin de son mandat de Président, Laurent Fabius est sous pression : la gauche attend qu’il déclare anticonstitutionnelles les mesures les plus controversées, la droite exige qu’il ne dénature pas le contenu d’une loi qu’elle a voulu durcie.
Le sujet est hautement inflammable. Les articles litigieux concernent la situation des étudiants étrangers, des mineurs non accompagnés et des malades, et aussi les conditions dans lesquelles la France accorde l’asile, la nationalité et la protection sociale, rien que cela ! Avec une seule des neuf voix, et une sensibilité de gauche minoritaire au sein du Conseil Constitutionnel, va-t-il pouvoir imprimer sa marque alors qu’il portera sur ses épaules le poids symbolique de la décision finale.
Le plus probable est une validation partielle de la loi avant promulgation par le Président de la République mais avec quelle portée politique ? Le voilà en première ligne, fortement exposé, en raison de la légèreté dont ont fait preuve le gouvernement et Emmanuel Macron : le Conseil Constitutionnel n’est « ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement », les a-t-il tancés le 8 janvier lors de ses vœux.
L’ex-ministre des Affaires étrangères de François Hollande a l’expérience des situations difficiles. La plus douloureuse fut celle du sang contaminé où il dut porter une part de la responsabilité de transfusions sanguines effectuées un temps sans test VIH. Même relaxé par la Cour de Justice de la République, cette affaire a empoisonné sa vie politique et personnelle.
Laurent Fabius en gardera les stigmates, une parenthèse pourtant dans sa longue carrière où il fut pendant près de cinquante ans l’un des piliers du Parti Socialiste. Une vie entière de fidélité à son camp, successivement ministre du Budget, de l’Industrie et de la Recherche, Premier ministre. Après la victoire de la gauche aux législatives de 1997, il accède au perchoir avant que Lionel Jospin ne lui offre à Bercy, l’Économie et les Finances.
En 2005, il a l’intuition de mener la campagne du non au référendum sur le traité de Constitution pour l’Europe. Galvanisé par un succès inattendu, il concourt à la primaire socialiste pour la Présidentielle de 2007 mais est devancé par Dominique Strauss-Kahn et…. Ségolène Royal qu’il avait affublée d’un « qui va garder les enfants ? » De quoi donner le sentiment d’un complexe de supériorité ? Laurent Fabius reste l’un des plus brillants de sa génération, fier surtout de son dernier exploit : il obtient en décembre 2015 à la COP 21 la signature des 196 participants de l’accord de Paris, celui qui fait encore référence aujourd’hui pour lutter contre les changements climatiques.
Ce 25 janvier, avec l’immigration, il lui reste une dernière occasion de marquer son temps.