L’aveu de Bardella

par Laurent Joffrin |  publié le 07/11/2023

En niant l’antisémitisme de Jean-Marie Le Pen, le président du Rassemblement national réécrit l’histoire de son parti. Mais s’il ment sur le passé, est-il crédible sur le présent ?

Laurent Joffrin

La vérité des choses apparaît parfois au détour d’une phrase. Un lapsus ? En l’occurrence non : Jordan Bardella, président du Rassemblement national, est connu pour sa maîtrise verbale et son maintien de gendre idéal, lisse et poli à souhait, incarnation parfaite d’un RN « dédiabolisé ».

Las ! Sur BFM, Benjamin Duhamel demande si Jean-Marie Le Pen était antisémite. Il répond : « Je ne sonde pas les cœurs et les reins, mais je ne le crois pas ». Comme le journaliste lui rappelle les condamnations infligées pour négationnisme et antisémitisme à celui qui présida le Front national pendant quarante ans, il répond : « les juges ont parlé, [mais] je ne crois pas que Jean-Marie Le Pen était antisémite. » Sic.

Étrange déclaration. Pour quiconque connaît un peu la vie politique, nier l’antisémitisme de Jean-Marie revient peu ou prou à nier la rotondité de la terre, ou bien à soutenir que les Américains ne sont pas allés sur la lune. Outre les condamnations évoquées, rappelons l’origine du FN, créé en 1972 par une bande de collabos notoires, pour qui l’antisémitisme était un acte de foi : Pierre Barthélémy, ancien du PPF de Jacques Doriot et de la LVF, légion pronazie, Pierre Bousquet, ex-Waffen SS peu repenti et ancien membre de la division Charlemagne, François Duprat, négationniste revendiqué, antisémite et antisioniste, assassiné en 1978 et à qui Le Pen a rendu hommage chaque année, François Brigneau, écrivain et journaliste collaborationniste, multi-condamné pour écrits antisémites, promoteur de Faurisson, etc.

Ceux qui ont vu Jean-Marie Le Pen en privé, même brièvement, savent à quoi s’en tenir : il n’avait pas son pareil pour « les » repérer dans une tablée (les juifs), pour moquer les livres sur la Shoah, réfutés selon lui par l’école négationniste, ou encore pour dénoncer lourdement le « lobby juif » dans les médias. Toutes réalités qui affleuraient encore dans son discours public pendant les années 1990.

Bardella mange d’ailleurs le morceau dans la même émission, sans s’en rendre compte : pour se défendre et récuser tout antisémitisme au sein du RN, il rappelle que c’est justement « sur l’antisémitisme » que Marine Le Pen a rompu avec son père, « allant même jusqu’à exclure Jean-Marie Le Pen du Front national ». Ainsi la cheffe du RN a répudié politiquement son père à cause d’un antisémitisme… dont le même Bardella dit qu’il n’existait pas. C’est dire en même temps blanc et noir, nord et sud, impair et manque.

Au vrai Bardella est coincé. Président d’un parti qui a remplacé l’antisémitisme par la phobie des musulmans, il estime qu’il ne peut pas dire la vérité sur le FN, sauf à reconnaître que celui-ci a défendu pendant des décennies des thèses aussi haineuses que louches. Alors il réécrit l’histoire pour servir ses buts politiques. Mais si Bardella ment à ce point sur le passé, comment ne pas penser qu’il en va de même sur le présent ?

Laurent Joffrin