Le blues d’Israël
Neuf mois après la barbarie du 7 octobre et le début du conflit, le traumatisme demeure. Et Israël est atteint dans ses fondements mêmes. Par Marc Lefèvre
Activité économique intense, constructions nouvelles, travaux d’infrastructure routière, terrasses des cafés bondées, plages très fréquentées : les grandes localités israéliennes donnent l’impression de vivre dans un quotidien inchangé. Mais, à côté de cette apparence de « vie normale », des dizaines de milliers d’Israéliens déplacés des zones frontalières du Sud et du Nord ne peuvent plus rentrer chez eux. Les dégâts matériels causés par les bombardements s’amplifient jour après jour dans les zones limitrophes du Liban. En dépit des affirmations rassurantes de l’armée, les tentatives d’incursion du Hamas se poursuivent dans les localités du sud.
Les conséquences sont palpables : les Israéliens ne se sentent plus en sécurité dans leurs frontières de 1948 et la crainte que des invasions du type de celle du 7 octobre pourraient se répéter ailleurs sur leur sol se répand. S’y ajoute la conscience manifeste qu’une escalade incontrôlée du conflit avec le Hezbollah causerait des dégâts humains et matériels immenses.
Pour la première fois, les Israéliens éprouvent clairement leurs limites : ils ne parviennent pas à maîtriser leur quotidien et leurs dirigeants se révèlent impuissants. Aucun des objectifs militaires visés ne semble pouvoir être atteint. Le nombre d’otages espérés encore vivants diminue continûment. Les noms des soldats morts au combat s’affichent presque chaque jour. Amertume, colère et frustration se répandent au sein de la population. La coalition gouvernementale soudée autour de Netanyahou, qui n’a d’autre objectif que sa survie politique et judiciaire, témoigne jour après jour de son insensibilité aux appels à l’aide des populations déplacées et des familles des otages.
Un gouvernement sourd aux critiques
L’isolement diplomatique croissant, la perte de légitimité de l’État d’Israël et, plus encore, les menaces juridiques liées aux orientations affichées de la CPI, ont suscité émotion et panique dans les médias et au sein de la population. Pendant ce temps, le gouvernement demeure sourd aux critiques des responsables militaires, ne proposant que la continuation des opérations militaires en cours sans afficher d’objectifs politiques « d’après conflit ».
Seules quelques voix, issues le plus souvent des spécialistes de la défense et de la sécurité, commencent à faire entendre qu’Israël doit prendre conscience de ses limites, qu’elles soient militaires, humaines, économiques, diplomatiques. Elles se sont avérées le 13 avril, lorsque les attaques aériennes iraniennes n’ont pu être contrecarrées que grâce à une coopération militaire internationale élargie. Il en sera de même dans le futur si des menaces iraniennes plus tangibles, y compris nucléaires, se concrétisent.
Mais cette prise de conscience des limites imposées à l’État d’Israël tarde à se traduire au plan de la politique intérieure. Le pays demeure englué dans des tractations et recompositions entre des partis cherchant à mettre en avant le candidat qui serait le plus crédible pour remplacer l’inamovible Netanyahou. Seule une gauche en reconstruction pose les questions qui fâchent sur les issues possibles au conflit israélo-palestinien, sur l’égalité des droits et des devoirs au sein d’un État démocratique, sur un positionnement futur possible dans la région… Mais elle est et restera encore longtemps minoritaire.
Les limites de toute nature qui s’imposent à Israël sont de plus en plus claires. Les perspectives, elles, sont très loin de l’être.
Marc Lefèvre