Le boycott des jeux n’aura pas lieu
Dans toutes les démocraties, on s’émeut de la tenue des jeux sous le régime nazi. Mais comment renoncer au prestige d’un tel évènement ?
Évidemment, des jeux olympiques sous le régime nazi, cela pose quelques petits problèmes. Dans bon nombre de pays les milieux sportifs sont réticents. Lorsque les campagnes antisémites du national-socialisme se font de plus en plus violentes, la presse américaine réagit fort. Le New-York Times, le 18 avril 1933, annonce la possible annulation des jeux du fait des menaces allemandes contre les juifs. Les autorités nazies multiplient bien entendu les assurances apaisantes qui ne convainquent absolument pas la communauté juive d’outre-Atlantique. Le 8 octobre 1933, le Congrès juif américain adresse au président de l’American Olympic Committee (AOC) un document dans lequel il décrit minutieusement les discriminations que subissent les juifs allemands, particulièrement dans le domaine des sports.
L’idée du boycott progresse. Le 22 novembre l’American Athletic Union of the United States (AAU) adopte une résolution aux termes de laquelle, si les athlètes juifs allemands ne peuvent participer aux jeux, les athlètes des États-Unis n’y participeront pas non plus. Deux ans plus tard, l’AAU sous des pressions diverses recule. Les Américains participeront, ce qui ne signifie pas, disent-ils, « une approbation de la politique du pays organisateur ». Mais, l’idée de boycott a rapproché socialistes et communistes dans les démocraties. Partout, des comités se constituent un peu contre la tenue des jeux à Berlin. Moscou pousse, soutient. On envisage des « contre-jeux » à Prague ou à Barcelone. Les polémiques jaillissent entre ceux qui plaident pour la neutralité du sport et ceux qui refusent toute souillure de l’olympisme par le racisme.
« Le président de la Fédération française d’escrime explique que ce n’est pas l’Allemagne qui invite le sport mondial à Berlin, c’est le Comité international olympique, institution d’origine française puisque créée par Pierre de Coubertin »
À Paris, en 1936, le gouvernement de Front populaire n’ignore rien de la politique raciale des nazis. Mais il sait aussi que le sport et l’olympisme jouissent d’un formidable capital de sympathie auprès des masses populaires. Les débats à la chambre sont houleux. Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports, se tait, louvoie. Le président de la Fédération française d’escrime, député du groupe de centre droit où siège Paul Reynaud, explique que ce n’est pas l’Allemagne qui invite le sport mondial à Berlin, c’est le Comité international olympique, institution d’origine française puisque créée par Pierre de Coubertin. Personne ne conteste ces arguties douteuses. La subvention d’un million de francs à l’équipe olympique française est votée. Les communistes décident de ne pas prendre part au vote. Seul Mendès France vote contre.
Les États-Unis et la France ont finalement accepté les jeux de Berlin. Ces deux puissances mondiales vont entraîner le renoncement au boycott des autres. La résistance intérieure allemande continuera, elle, de se manifester y compris pendant les jeux, malgré la répression. Les rapports de la Gestapo notent le rôle prépondérant des communistes dans ces diverses actions : tracts et brochures dans les lieux publics, arrachage de drapeaux nazis, appel aux participants et aux touristes. La police d’État arrête des dizaines de militants dans la capitale du Reich. Les jeux vont pouvoir commencer.
Toute la série :
1. Olympisme et nazisme, des affinités
2. Le boycott des jeux n’aura pas lieu
3. Décor monumental et organisation colossale
4. Un noir américain défie la race des seigneurs
5. Derrière le sport, la marche vers la guerre