Le cercle des amis du Hamas
Ils ne sont pas islamistes et ils réprouvent en général les méthodes utilisées par l’organisation terroriste, mais ils servent ses intérêts. Alliés objectifs ou idiots utiles?
François Burgat
Islamologue réputé, longtemps chercheur au CNRS, auteur de nombreux ouvrages, François Burgat voit dans l’islamisme, non un mouvement principalement théologique ou théocratique, mais une expression légitime du rejet de l’Occident dans les pays colonies ou anciennement colonisés. Contestée par nombre de ses pairs, la thèse conduit l’universitaire à des prises de position pour le moins étonnantes. Le mardi 2 janvier, il déclenche un torrent de réprobations en répondant à un article du New York Times sur l’attaque du 7 octobre, tenant les accusations envers le Hamas comme « faisant partie de la tentative sioniste de diaboliser la résistance ».
Et d’ajouter : « J’ai infiniment, je dis bien infiniment, plus de respect et de considération pour les dirigeants du Hamas que pour ceux de l’État d’Israël », affirme-t-il sur X, mettant sur le même plan les dirigeants de l’organisation terroriste avec les responsables élus de l’État hébreu. Contacté par Libération, il persiste : « Je comprends qu’il y ait un différend d’appréciation et que cela puisse choquer, mais je ne bouge pas d’un millimètre sur cette question ». Et il ajoute dans un curieux oxymore : « Ce n’est pas parce que je dois reconnaître qu’il y a eu un mouvement de nature terroriste le 7 octobre que je dois criminaliser le mouvement de libération de la Palestine ».
Houria Bouteldja
Universitaire et fondatrice du mouvement Les Indigènes de la République, Houria Bouteldja se distingue depuis longtemps par des prises de positions décoloniales agressives, racialistes, sinon racistes, dont certaines frisent l’antisémitisme. Groupusculaire, mais disposant d’une certaine aura médiatique et d’une influence dans les milieux militants des banlieues, elle exprime une vision strictement communautaire de la politique, selon laquelle il faut promouvoir une action politique largement fondée sur la race, en dénonçant les Blancs et en soutenant, pratiquement en toutes circonstances, les idées et les pratiques des minorités ethniques victimes de racisme (sauf les Juifs, bien sûr).
Au lendemain de l’attaque du 7 octobre, les « Indigènes publiaient le message suivant : « Que la Résistance palestinienne qui mène son action avec détermination et confiance dans des conditions héroïques reçoive en ces heures terribles toute notre fraternité militante. La Palestine vaincra et sa Victoire sera la nôtre. » À la manière rouge-brun, Bouteldja appelle maintenant à l’unité entre les « beaufs » type gilets jaunes » et les « barbares » des cités. Elle fait ainsi l’éloge, quoiqu’officiellement féministe, d’une certaine masculinité dès lors qu’elle émane des « racisés » : « [pour faire le lien,] nous pouvons envisager de puiser dans les masculinités subalternes blanches et non blanches […] Pour cela, il faut commencer par respecter les formes de dignité que revêtent ces formes de masculinité […] [perçues] comme refuge contre la terreur de la modernité. » Y compris, donc, la « masculinité » des miliciens du Hamas…
Alain Soral
Multi-condamné pour négationnisme et antisémitisme, « rouge-brun » patenté, Soral salue la « solidité incomparable » du mouvement palestinien à Gaza (et donc du Hamas) et souhaite évidemment sa victoire. « L’histoire palestinienne, dit-il, s’inscrit dans une lutte anticolonialiste et anti-impérialiste de gauche », dirigée contre un État hébreu « fasciste ». Pour lui, l’existence d’Israël n’est que la pointe avancée du colonialisme occidental, dont la survie tient à l’influence des Juifs sur la politique des démocraties occidentales. C’est particulièrement vrai pour la France, dit-il, qui est devenue « une colonie israélienne ».
Symbole de cette emprise à ses yeux : « On a vu l’étoile de David sur la Tour Eiffel ». On lisait des choses de ce genre dans l’opuscule ancien d’Édouard Drumont, La France Juive, ouvrage fondateur de l’antisémitisme français. Le raisonnement est étendu à la planète, qui souffre des menées de l’État sioniste soutenu par les Juifs du monde entier, etc. Curieusement, cette proximité d’analyse ne gêne en rien les idéologues du mouvement décolonial, même s’ils se gardent en général de tenir un discours antisémite.
Judith Butler
Discours décolonial, toujours, mais non antisémite. La philosophe considérée comme la papesse des « études de genre » a qualifié de « résistance armée » le massacre commis le 7 octobre au sud d’Israël par les miliciens du Hamas, qu’elle avait auparavant qualifié de « mouvement de gauche » sans jamais se dédire. Certes, Judith Butler a condamné la violence des méthodes utilisées par les terroristes, mais non leur but, pour la bonne raison qu’il est « décolonial » à souhait.
Elle se range ainsi du côté de ceux qui veulent « libérer la Palestine de la rivière à la mer », c’est-à-dire, pour reprendre les objectifs du Hamas, instaurer en lieu et place de l’État d’Israël une théocratie autoritaire dirigée par des islamistes revendiqués. Telle est la « politique identitaire » prônée désormais par une partie de l’extrême-gauche internationale : soutenir, au nom de l’anticolonialisme, des mouvements islamistes dictatoriaux, patriarcaux, homophobes et souvent antisémites, c’est-à-dire à l’exact opposé de ce que ces « décoloniaux », qui sont aussi néo-féministes et pro-LGBT, sont censés défendre par ailleurs. Contradiction éclatante, mais que les zélotes de ces mouvements inspirés par Butler se gardent bien de relever.
Andreas Malm
Il est devenu la coqueluche d’une certaine gauche radicale et écologiste en publiant « Comment saboter un pipe-line », plaidoyer pour l’action directe et parfois violente pour lutter contre « le capitalisme fossile ». Là aussi, interconnexion frappante des différentes causes de l’extrême-gauche : écolo radical, Malm est aussi un militant fervent de la cause palestinienne, y compris quand elle est représentée par le Hamas. Toujours ce point commun entre certains militantes et militants LGBT, écologistes, antiracistes ou néo-féministes : le dogme décolonial.
En avril, six mois après l’attaque barbare du Hamas, Malm déclare ainsi : « La première chose que nous avons dite dans ces premières heures n’était pas tant des mots que des cris de jubilation. Ceux d’entre nous qui ont vécu leur vie avec et à travers la question de la Palestine ne pouvaient pas réagir autrement aux scènes de la résistance prenant d’assaut le checkpoint d’Erez » et d’ajouter : « La résistance armée qui se déroule à Gaza est héroïque. »
Soyons justes, avec une légère nuance à propos des attaques contre les civils israéliens : « C’était déplorable, mais pas incompréhensible. » Car « si vous vivez dans un camp de concentration et que vous êtes absolument incapable de vous déplacer, que vous avez ce parapente, que vous volez pour la première fois hors du camp, que vous atterrissez sur des gens en train de danser et que vous avez une arme à feu, vous allez probablement, à cet instant, exprimer la colère que vous avez en vous par une violence contre des civils ». Les méthodes du Hamas, donc, sont parfois excessives, mais elles se comprennent et concourent à une juste cause.
Jean-Luc Mélenchon
Le cas est différent, quoiqu’il aboutisse, dans certains de ses raisonnements, à des positions cousines. Jean-Luc Mélenchon ne défend pas les idées du Hamas, son parti joue le jeu de la démocratie (sauf en interne) et s’efforce de construire des discours cohérents. Il tente de récupérer le discours décolonial, mais n’en épouse pas toutes les outrances ou les contradictions. Il condamne dans ses méthodes l’attaque du 7 octobre. Mais il les qualifie, non d’action « terroriste », mais de « crime de guerre », ce qui permet de renvoyer dos à dos le gouvernement de Benyamin Netanyahou et la direction du Hamas.
Ce qui a tout de même l’inconvénient de conférer à l’organisation terroriste le statut d’armée régulière, émanation, donc, d’un État comme un autre et non d’une dictature théocratique et terroriste, ce que chacun appréciera. Et surtout, dès les premières heures suivant l’attaque, LFI a exigé la proclamation d’un « cessez-le-feu » par les deux parties du conflit. Déclaration d’apparence pacifique et équilibrée, mais qui revient, si l’on y pense trente secondes, à dénier à Israël le droit de riposter à l’attaque, alors même que sa nature barbare était déjà établie. Depuis, LFI mène une campagne virulente contre l’intervention israélienne à Gaza, dénonçant le « risque de génocide » encouru par la population gazaouie.
Or cette dénonciation est compréhensible après des mois de guerre, qui conduisent aux destructions et aux pertes humaines que l’on constate tous les jours. Mais c’est la date qui frappe : autant la demande de cessez-le-feu est légitime aujourd’hui – c’est même la position des principaux alliés d’Israël – autant elle était incongrue au lendemain d’une attaque que les Israéliens, selon Mélenchon, auraient dû accueillir avec compréhension et bénévolence en s’abstenant de toute riposte par les armes. C’était de toute évidence rendre un grand service à la propagande du Hamas que de se fixer, dès l’origine, sur cette position digne de Tartuffe.
Ersilia Soudais
Néophyte comme spécialiste du Moyen-Orient, la jeune députée LFI reprend partout les éléments de langage de LFI et range le Hamas dans la catégorie des organisations qui combattent « le colonialisme » et « l’impérialisme ». Son zèle la conduit parfois à des dérapages malencontreux. Ainsi, elle soutient une activiste palestinienne nommée Ahed Tamini, qui dénonce le processus de colonisation en Cisjordanie, chose tout à fait courante et légitime. L’ennui, c’est que cette jeune femme livrait sur X le message suivant, adressé aux colons juifs : « Nous allons vous abattre et vous vous direz que ce que vous a fait Hitler, c’était une plaisanterie ; nous boirons votre sang et nous vous mangerons le crâne. Venez, on vous attend. »
Danielle Obono
Poussée dans ses retranchements par Jean-Jacques Bourdin, sur Sud-Radio, la députée LFI finit par livrer le fond de la pensée sur le Hamas : « Oui, c’est un mouvement de résistance, qui se définit comme tel ». Pour ajouter par la suite : « C’est un groupe politique islamiste qui a une branche armée », qui « s’inscrit dans les formations politiques palestiniennes », qui « a pour objectif la libération de la Palestine » et qui « résiste à une occupation ». Ce qui accorde à cette organisation théocratique et terroriste un brevet de légitimité éclatant. La déclaration de Danielle Obono correspond à un engagement ancien en faveur du mouvement palestinien, toutes tendances confondues. Elle a fait tousser plusieurs responsables LFI, comme Alexis Corbière ou François Ruffin, et provoqué une réprobation lors d’une réunion subséquente du mouvement. Mais la direction s’est bien gardée de la condamner.