Le cirque Mélenchon

par Laurent Joffrin |  publié le 22/04/2024

Les outrances du leader de LFI ne sont pas le produit  de ses idées radicales. Ce sont des outils qui lui permettent d’arraisonner le débat public à son profit.

Photo: Philippe Matsas

Non, il ne s’agit pas ici de rédiger le énième billet indigné pour critiquer les propos de Jean-Luc Mélenchon tenus depuis vendredi. Par leur outrance grotesque – comparer un préfet de la République ou un président d’Université à Adolf Eichmann, organisateur de la Shoah ! – ils s’autodétruisent pour tout auditeur un tant soit peu raisonnable. Non, c’est l’occasion de démonter le mécanisme simple qui permet au leader de la France insoumise d’occuper la scène médiatique plus que la plupart de ses concurrents.

Premier temps : Mélenchon fait la tournée des universités avec une dénommée Rima Hassan, militante LFI et porte-parole de la cause palestinienne pour défendre ses thèses – pour le moins controversées – sur le conflit au Proche-Orient. Modeste couverture médiatique.

Deuxième temps : craignant un « trouble à l’ordre public », le président de l’Université de Lille, puis le préfet, interdisent la réunion publique. Étrange décision : aussi contestables soient-ils, les propos de Mélenchon ne tombent pas sous le coup de la loi et il revient à la puissance publique d’assurer le libre droit à l’expression et non de le bafouer. Drôle de tactique, surtout : l’interdiction est du pain bénit pour LFI, qui peut s’appuyer sur elle pour muscler sa campagne.

Troisième temps : pour protester, Mélenchon improvise un meeting de rue, où il assimile son parti à un mouvement de Résistance contre le nazisme, dénonce les « délateurs » socialistes et assimile les décisions d’interdiction aux criminels agissements d’Adolf Eichmann pendant la guerre. Bien entendu, le leader LFI, qui a une certaine culture, sait fort bien que sa comparaison est à la fois ridicule (la macronie, régime hitlérien ?) et insultante. Comme souvent, il ne croit pas un mot de sa propre philippique.  

Exposition médiatique

Mais eût-il formulé une protestation rationnelle, raisonnable, remarquant que les pouvoirs publics ont failli à leur devoir en écornant au passage la liberté d’expression, que l’affaire eût été rapidement close. En sortant Eichmann de son chapeau, le bateleur déclenche une bronca sur les réseaux, passe en boucle sur les chaînes d’info et suscite un débat en stuc sur la légitimité de ce genre de propos. Deux jours d’exposition médiatique assurés pour LFI, dont la campagne est à la peine et qui doit absolument mobiliser ses électeurs, notamment les Français musulmans, qui ne seront pas fâchés, pense-t-il, de voir galvaudée la référence à la Shoah. Si Eichmann égale le préfet du Nord, comme le dit Mélenchon, le martyre des Juifs pendant la guerre a été pour le moins exagéré. Coup de pouce indirect à la concurrence victimaire entre Juifs et Arabes.

 Ainsi tourne le cirque Mélenchon, qui attire le chaland par l’emphase et l’insulte, pour lui vendre ensuite son programme. L’outrance n’est pas une affaire de caractère ou de radicalité. Elle ne vient pas de la colère ou du tempérament. Elle est froidement calculée. C’est une arme de marketing politique et un piège dans lequel le monde médiatique saute régulièrement à pieds joints. Plutôt que se gendarmer, il faut le savoir et passer à autre chose.  

Laurent Joffrin