Le club des amis de Vladimir

par Valérie Lecasble |  publié le 09/03/2024

Selon des degrés divers, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, souverainistes ou anti-américains, ils défendent avec zèle les intérêts du dictateur russe

Montage Yann Le Bechec- LeJournal.info

Marine Le Pen

Marine Le Pen-AFP

Elle est la poutinienne en chef. Reçue par le dictateur, elle se targuait de bonnes relations avec lui et présentait son régime nationaliste comme une sorte de modèle à suivre. Prise à contrepied par l’invasion russe, elle a condamné mollement, puis régulièrement critiqué l’aide de l’Union européenne au gouvernement de Kiev, tout comme ses députés européens ont voté contre tout soutien à l’opposant Alexei Navalny. En juillet 2023, elle a qualifié l’envoi d’armes à l’Ukraine d’« irresponsable ». Tentant de contre-attaquer en relativisant, un de ses sbires, Sébastien Chenu, a accusé Macron d’avoir livré en 2017 des navires Mistral à la Russie. Mensonge pur et simple : la fourniture de ces redoutables navires de guerre avait été bloquée par François Hollande en 2014, une décision que Marine Le Pen avait hautement fustigée à l’époque. Le RN, au vrai, joue avec application le rôle d’une cinquième colonne russe en France, ce qu’on ne peut s’empêcher de mettre en rapport avec les fonds que son parti a reçus des banques russes.

Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Melenchon- AFP

Obsédé par son anti-américanisme, Jean-Luc Mélenchon joue à gauche le rôle du RN à droite. Après avoir constamment dénoncé le soutien des démocraties au peuple ukrainien après la « révolution de Maïdan » et fait porter sur les seuls États-Unis la responsabilité de la tension autour de l’Ukraine, il a lui aussi été pris à revers par l’agression russe. Il a bien fallu la condamner, la mort dans l’âme. Mais aussitôt la France insoumise a critiqué l’envoi d’armes vers le pays agressé, rejeté les sanctions économiques et dénoncé toute politique de soutien à l’Ukraine, -qu’elle tient pour une « cobelligérance ». Elle exige des négociations immédiates pour « sauver la paix », ce que Poutine ne propose pas et que Zelensky ne peut pas envisager tant que son pays est en patrie occupé par les troupes russes. Mélenchon sait bien que cette négociation qu’il réclame « sur les frontières » consacrerait l’annexion du Donbass et de la Crimée, c’est-à-dire la victoire de Poutine sur les démocraties. Sous prétexte de hauteur stratégique, de réalisme et de souci de la paix, Mélenchon rejoint Marine Le Pen dans sa fonction d’agent d’influence du dictateur.         

Jean-Pierre Chevènement

Jean-Pierre Chevenement

« Les Français ont élu Emmanuel Macron président de la République française ; ils n’ont pas élu Volodymyr Zelensky. Ils n’attendent pas qu’il défende d’abord les intérêts de l’Ukraine… ; ils attendent qu’il défende les intérêts de la France. Les intérêts de la France ne se situent pas en Ukraine », tacle dès le 1er mars 2024 Jean-Pierre Chevènement. Souverainiste venu de la gauche, le « Che » ferraille depuis toujours contre l’impérialisme américain, l’OTAN et la domination allemande, ce qui le conduit à considérer la Russie comme le contrepoids nécessaire à l’équilibre du monde. Bonne raison d’avoir pour Vladimir Poutine toutes les indulgences, même si, dit-il, il n’est « pas un enfant de chœur ».

C’est qu’il le connaît bien :  représentant spécial de la France pour la Russie de 2012 à 2021, signataire en 2016 après le Brexit d’une pétition pour un rapprochement de l’Europe avec la Russie « indispensable pour la sécurité de toutes les nations », décoré de l’ordre de l’amitié par Vladimir Poutine en 2017, il plaide en faveur d’un statut de neutralité pour l’Ukraine après son invasion, à l’instar de celui de l’Autriche lors de son indépendance en 1955. Neutralité ou capitulation ?

Emmanuel Todd

Emmanuel Todd-Ulf Andersen/Aurimages

Comme Mélenchon, le démographe et sociologue impute aux États-Unis la responsabilité de la tension autour de l’Ukraine, tenant un discours proche de celui que développe la propagande russe, négligeant totalement la volonté du peuple d’Ukraine de s’affranchir de la tutelle russe et de se rapprocher de l’Union européenne. Souverainiste, il l’est pour la France, mais pas pour l’Ukraine, qui doit à ses yeux faire naturellement partie de l’espace russe et ne mérite manifestement pas d’être souveraine chez elle. Pour bien souligner sa résignation à la victoire de Poutine, il pond un bouquin contesté par les spécialistes, qui prédit du même mouvement la renaissance de la Russie et la décomposition des démocraties de l’Ouest, à commencer par les États-Unis.

Éric Zemmour

Eric Zemmour-AFP

« Oui, il nous faudrait un Poutine français ». Une fois cette déclaration d’amour officialisée par Zemmour, les positions prises par son mouvement Reconquête coulent de source. Condamnation soft de l’agression russe, demande immédiate de négociations de paix qui établiraient la domination de la Russie sur les territoires déjà conquis. Après un tel zèle poutinien, l’opinion le sanctionne en mettant brutalement fin à ses espoirs présidentiels en 2022. Depuis, il porte son poutinisme flamboyant d’avant la guerre comme une tunique de Nessus.   

Natacha Polony

Natacha Polony -AFP

Jean-Pierre Chevènement est le maître, elle est l’élève, souverainiste comme lui, mais classée à droite, avec des positions copiées-collées. Plutôt que la Russie, le vrai responsable de l’invasion de l’Ukraine ne peut être que les États-Unis et leur rôle en Europe depuis 1991, avec deux bras armés : la CIA, qui aurait établi la ligne de front à Kiev et l’OTAN, et a poursuivi son expansion.

Elle invite donc Washington à ne pas fuir ses responsabilités et combat « l’idée totalement folle qu’il faudrait engager les européens dans une guerre pour empêcher la victoire de Vladimir Poutine ». Elle s’indigne que la référence à Munich puisse conduire à déclencher des guerres, réfute la comparaison entre Vladimir Poutine et Hitler, insiste qu’ « on a déjà fait le coup » avec Saddam Hussein, et s’énerve que l’on traite les uns de lâches et les autres d’agents de l’étranger.

Sa conclusion est claire : « les Européens doivent penser leur sécurité sans se rêver en grands combattants qui iraient déclencher une troisième guerre mondiale ».  

Henri Guaino

Henri Guaino -Photo Lionel BONAVENTURE / AFP
Henri Guaino- AFP

Plus nuancé que ses homologues en poutinisme, l’ancien conseiller et « plume » de Nicolas Sarkozy soutient verbalement l’Ukraine dans la défense de son territoire envahi. Mais il fustige la « guerre par procuration » que mèneraient les démocraties européennes, condamnant donc plus ou moins explicitement les envois d’armes à l’Ukraine, ce qui revient à priver les agressés des moyens de se défendre contre l’agresseur. Nous sommes dirigés, dit-il, par des « somnambules », faisait référence au livre désormais classique de Christopher Clark sur l’engrenage qui a mené à la Grande Guerre. Or la comparaison ne vaut pas grand-chose. Entre l’attentat de Sarajevo, point de départ du conflit de 1914 et l’invasion de l’Ukraine, peu de points communs. En revanche une autre comparaison historique vient à l’esprit : l’affaire des Sudètes et le démembrement de la Tchécoslovaquie par Hitler. Là aussi, une démocratie a été attaquée sous prétexte de défendre une minorité opprimée. Avant que les démocraties ne la sacrifient à la conférence de Munich dans l’espoir de sauver une paix dont l’ennemi, en tout état de cause, ne voulait pas.   

Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy – AFP

L’Ukraine doit rester neutre et ne rejoindre ni l’OTAN ni l’Union européenne. Depuis l’été dernier qu’il défend la « discussion diplomatique » avec Vladimir Poutine pour mettre fin à une guerre que l’Ukraine ne pourra pas gagner face à la deuxième puissance nucléaire du monde, Nicolas Sarkozy s’est rangé dans le camp de la conciliation avec Vladimir Poutine, un homme qu’il dit bien connaître et avec lequel, assure-t-il, on peut discuter.

Des propos largement approuvés par le maître du Kremlin, en phase avec les réseaux pro-russes et qui ont suscité dans le monde occidental des réactions d’autant plus vives que l’ancien chef de l’État est accusé d’avoir été payé pour des conférences en Russie ,dont l’une en 2018où il avait déclaré « j’ai toujours été un ami de Vladimir Poutine ».

Dominique de Villepin

Dominique de Villepin- AFP

« Nous ne sommes pas en phase avec Volodymyr Zelensky ». Dominique de Villepin voit dans la déclaration d’Emmanuel Macron sur le déploiement de soldats occidentaux en Ukraine un objectif politique, celui d’afficher un clivage entre « les partis qui sont résolument engagés à défendre l’Ukraine et ceux qui sont hésitants », sous-entendu le Rassemblement National. Pour l’ancien Premier ministre, le président fait fausse route. « Nous sommes en train de perdre la bataille diplomatique mondiale, la bataille de l’influence et de la crédibilité ». Alors que la France devrait se positionner comme médiateur dans un monde dangereux. Il met en avant le risque nucléaire : « si l’un emploie la bombe, l’autre répond et à la fin nous sommes tous morts ».

Nicolas Dupont-Aignan

Nicolas Dupont-Aignan- AFP

Avec Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, le président de Debout la France est l’un des « caniches de Poutine, devenus depuis le début de la guerre les paillassons », selon Claude Malhuret qui préside le Groupe Indépendants au Sénat. Nicolas Dupont Aignan, il est vrai, est favorable à la neutralité de l’Ukraine, refuse qu’on y envoie des armes, entérine l’annexion de la Crimée et du Donbass. Il n’a enfin jamais caché son admiration pour Vladimir Poutine.

Valérie Lecasble

Laurent Joffrin

Valérie Lecasble

Editorialiste politique