Le condottiere exécuté
La disparition du chef de la milice Wagner rappelle les méthodes des dictatures les plus traditionnelles. Ou bien celles de la mafia…
Personne ne croit plus que le crash de l’avion qui transportait Evgueny Prigojine soit le résultat d’un accident mécanique ou d’une erreur de pilotage. L’appareil s’est désintégré en vol avant de tomber comme une pierre : on hésite seulement entre la thèse du tir de missile ou celle de la bombe placée à bord.
Quelles que soient les modalités exactes de cette exécution, le message est clair. En se rebellant contre son maître, en mettant en accusation la stratégie suivie en Ukraine, le condottiere russe avait signé son arrêt de mort. Comme dans les opérations mafieuses, les sicaires ont attendu patiemment l’occasion favorable pour punir le « traître ».
On a cru un moment que le pouvoir de Vladimir Poutine relevait d’une nouvelle espèce politique, la « démocratie illibérale », régime autoritaire qui conserve néanmoins les traits apparents des régimes d’état de droit et laisse aux citoyens une certaine latitude. Depuis le déclenchement de la guerre d’Ukraine, cette illusion a pris fin. Le régime russe a désormais toutes les caractéristiques des dictatures les plus traditionnelles.
Certes il n’est pas hitlérien ou stalinien, Il ne s’est pas lancé dans l’ouverture de camps ou dans le massacre de masse. Mais comment ne pas rapprocher la tactique suivie en Ukraine de celle qui a prévalu en Allemagne dans l’affaire des Sudètes ? Le pouvoir allemand considérait que cette minorité germanophone devait être intégrée au Reich, tout comme Poutine tient pour russes les habitants de Crimée ou du Donbass, qu’il veut absorber dans son empire. Seule différence : en 1938, les démocraties ont laissé Hitler dépecer la Tchécoslovaquie après la conférence de Munich, alors qu’elles ont cette fois apporté un soutien sans faille à la démocratie ukrainienne, à la grande surprise du nouveau tsar.
De même le parallèle est frappant entre le chef de la milice Wagner Evgueny Prigojine et le chef de la milice nazie Ernst Röhm en 1934. Dans les deux cas, ces ganaches présomptueuses ont été liquidées pour avoir pris trop d’autonomie vis-à-vis du chef suprême. Dans les deux cas, leur mort rassure l’armée régulière et rétablit l’unité du pouvoir central. Avec cette différence : Hitler a participé personnellement à la liquidation des S.A. tandis que l’implication exacte de Poutine est encore inconnue.
Voilà donc le chef d’État avec lequel quelques esprits forts, dont un ancien président de droite, estiment nécessaire de trouver un arrangement qui le satisfasse…