Le défi américain

par Bernard Attali |  publié le 15/03/2024

En 1967, le livre  de Jean Jacques Servan-Schreiber, mettait déjà en avant l’avance technologique des États-Unis. Un fossé qui se creuse

En 2023, l’économie américaine a affiché une croissance supérieure de 5 fois à celle de l’Europe (cf. le Figaro du 12 mars). USA : +2,5 %, Zone euro : + 0,5 %. Le PIB par habitant en France est aujourd’hui inférieur de 40 % à celui des USA.

Cela s’explique. Il y a le prix de l’énergie qui fait des États-Unis le premier producteur d’énergie au monde à un cout trois fois inférieur à l’Europe. Il y a le plan d’investissement massif décidé par l’administration américaine (l’IRA : 369 md de dollars, le Chips act : 200md…) réservé aux entreprises qui produisent localement. Il y a enfin les ménages américains qui dépensent quand les Européens épargnent. Et enfin la profondeur du marché des capitaux américains qui attirent les investissements que la fragmentation des marchés de capitaux européens décourage.

À noter au passage que les USA s’affranchissent de bien des contraintes qui sont les nôtres. Le privilège du dollar leur autorise une dette publique abyssale (8 % du PIB, cinq fois plus élevé qu’il y a 10 ans), ce que notre orthodoxie monétaire interdit. Leur peu d’égard pour l’environnement leur permet l’exploitation du gaz de schiste et bien des libertés que nous nous interdisons. Quant à leurs grandes plateformes numériques, ils en font de redoutables porte-avions agressifs quand nous les régulons au nom de la défense des droits individuels. Et enfin, osons le dire : la guerre en Europe va évidemment renforcer l’industrie américaine.

Tout cela pourrait encore s’aggraver dans le futur si les grandes entreprises de la Tech américaines accentuaient encore leurs avantages. Et on voit bien que leur avance en ce domaine s’accroit de manière impressionnante. Les États-Unis ont investi 250 milliards de dollars sur l’IA depuis 10 ans ; la France 6. Et le budget de recherche américain dépasse 3,5 % du PIB contre seulement 2,2 % dans l’Union européenne.

À cela s’ajoute deux phénomènes structurels majeurs. D’abord la démographie : la population active doit augmenter de 0,3% chaque années aux USA au cours des prochaines années, alors qu’elle va diminuer de 0,2% par an dans la zone euro. Enfin la productivité augmente là-bas et baisse ici, avec un différentiel de 25% !

Alors pourquoi s’étonner que nos investissements aillent où se trouve la croissance ? Saint Gobain investit lourdement outre Atlantique. Comme Arkema comme Schneider Electric, comme Michelin, comme Plastic Omnium, comme Valeo, comme Air Liquide, comme Total, comme Engie. Le cours de la bourse de ces maisons se porte bien et tant mieux.

Mais en tirer des conclusions sur la bonne tenue de l’économie française relève de l’erreur grossière. Ces implantations à l’étranger aggravent la plupart du temps notre déficit commercial. On peut en outre craindre que beaucoup de nos grandes entreprises quittent un jour la cotation à Paris pour celle de New York. Ne serait-ce que pour la partie internationale de leur activité.

Si la prochaine élection américaine renforce le penchant protectionniste de l’Oncle Sam on peut imaginer les conséquences ! Trump a pour programme d’imposer des droits de douanes de 10% sur toutes les importations américaines, contre 2% actuellement. Une déclaration de guerre commerciale. Jean Jacques Servan-Schreiber avait raison il y a 70 ans. La suite de l’histoire lui donne encore plus raison. L’Amérique prend le large.

Bernard Attali

Editorialiste