Le diable s’habille en datas

par Bernard Attali |  publié le 08/07/2024

En matière de données aussi, l’Europe est plongée dans l’éternel dilemme souveraineté ou protectionnisme.

Au moment où nos politiques s’agitent sur des enjeux domestiques, l’indépendance technologique de l’Europe est en débat à Bruxelles. Rien de moins. Et dans un secret inquiétant. Je veux parler des négociations en cours sur ce que les experts appellent l’EUCS, pour European Cybersecurity Certification for Cloud Devices. Derrière ce sigle, on retrouve la future règle qui va définir les exigences européennes en matière de sécurité des données.

Fin décembre dernier, Washington a autorisé ses services de renseignements à récupérer les données d’entreprises non-américaines au nom de la sécurité nationale. Ce qui équivaut à appliquer un principe d’exterritorialité à toutes les données, y compris non-américaines.

« S’il s’agit – ce que je pense – d’un enjeu majeur, il mériterait mieux qu’une négociation confidentielle, quasiment à huis clos, dans les couloirs feutrés de la Commission. »

Les Européens doivent donc se définir par rapport à cela. Au début de la discussion ils semblaient s’accorder sur une certification a plusieurs niveaux, dont les plus exigeants prévoyaient une localisation européenne des fournisseurs de cloud pour les données les plus sensibles. Pour, disaient-ils, rendre possible un jour l’émergence d’un cloud sur le continent. Aujourd’hui, plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, semblent revenir sur cette exigence au nom du libéralisme et du libre marché, indissociable de l’innovation. Éternel dilemme : souveraineté ou protectionnisme ?

Difficile de prendre position à ce stade. Mais s’il s’agit – ce que je pense – d’un enjeu majeur, il mériterait mieux qu’une négociation confidentielle, quasiment à huis clos, dans les couloirs feutrés de la Commission. L’opacité qui règne sur ces discussions plonge beaucoup de grandes entreprises dans une incertitude juridique grave. En outre je m’interroge : au moment où nous élisons une nouvelle Assemblée Nationale, combien de nos élus seront suffisamment formés pour appréhender la complexité d’un tel dossier ?

Un exemple de plus, hélas, des faiblesses de notre système politique en ces temps de populisme : l’incapacité d’une grande partie de nos élus à s’emparer des grands enjeux technologiques qui conditionnent notre avenir.

Bernard Attali

Editorialiste